Méditation n°29 : à quoi sert que tu écrives ?





Je n’ai pas plus fait mon livre que mon livre ne m’a fait, livre consubstantiel à son auteur, d’une occupation propre, membre de ma vie ; non d’une occupation et fin tierce et étrangère comme les autres livres.

Michel de Montaigne, Essais, 1580.


Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi.

[…]

J’ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m’a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m’égaler à lui en m’appuyant sur mes seuls mérites, je n’ai rien trouvé d’autre pour m’aider que ce qui m’a soutenu, dans les circonstances les plus contraires, tout au long de ma vie : l’idée que je me fais de mon art et du rôle de l’écrivain.

Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d’amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.

Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher.

C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art.

Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil, chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l’art.

Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté.

Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir — le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression.

Pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j’ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la première guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment où s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la deuxième guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs œuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire.

Personne, je suppose, ne peut leur demander d’être optimistes. Et je suis même d’avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l’erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l’époque. Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer à partir de ses seules négations un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. C’est elle qui mérite d’être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C’est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l’honneur que vous venez de me faire.

Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. 

Albert Camus, Discours de Suède, 1957.


Let the Blessed One teach the Dhamma,
There will be those who will understand.

Brahmā Sahampati au Bouddha




À quoi sert que tu écrives ?


Bien sûr, trêve de détours et de faux semblants : tu te soucies peu de la réponse. Tout ton être en est convaincu. Il ne changera pas d’avis. Et personne ne pourra t’en dissuader. En liberté ou en prison, en bonne santé ou malade, le jour ou la nuit, avec une plume ou un clavier, et jusqu’à tes 99 ans, tu vas continuer à écrire. Car cela t’est nécessaire. Car cela est un élan vital pour toi. Car pour toi, écrire c’est exister.

Toute cette réflexion ne serait que fantasme stérile si tu n’avais pas déjà un bilan d’étape d’écrivain débutant à présenter, différentes réflexions sur l’engagement et la joie de l’écrivain, le courage de dire vrai qui signifie la sincérité de l’écrivain et la création de ce site lui-même.

Le monde peut s’écrouler, tu écriras, encore et encore. En fait, tu écriras justement parce que le monde s’écroule. Et comme le monde s’écroule, ton monde s’écroule. S’écroulent à la fois le monde d’illusion dans lequel tu vivais avant de comprendre, et le monde possible que tu as perçu en songe après avoir compris. Le monde actuel, dans sa beauté et sa barbarie, et tous les mondes possibles, plus ou moins beaux et barbares que l’actuel, s’écroulent d’un bloc quand s’effondre la Vie sur Terre. Certains mondes meilleurs sont désormais impossibles. D’autres mondes meilleurs que l’abîme vers lequel, aveugles, nous marchons, sont encore possibles. Mais la destruction définitive du monde, et de tous les mondes possibles, a commencé. Pour sauver tous les mondes encore possibles, pour sauver plus particulièrement les mondes meilleurs que l’anéantissement, il va falloir penser, parler, et agir de toutes nos forces, ensemble. Et donc écrire.

Comme Albert Camus, tu voudras donc écrire pour empêcher que le monde ne se défasse. Tu voudras compléter son célèbre mot comme suit : « j’écris donc… je me révolte donc nous sommes ».

Écrasé par l’Urgence, il te faut écrire car écrire, c’est penser, imaginer, partager, s’émouvoir, pleurer, rire, danser, se révolter, dénoncer, refuser, maudire, comprendre, observer, contempler, organiser, analyser, synthétiser, élucider, éclairer, complexifier, aimer, proposer, créer, … Écrire en général, tu en es déjà persuadé, est d’une importance suprême pour l’Humain et l’Humanité.

Comme d’autres ont écrit avant toi pour que tu existes, tu écris pour faire exister d’autres après toi. Tu reprends la plume posée par tes ancêtres pour que se poursuive la grande aventure de la Vie et de l’Humanité sur Terre. Tu écris pour que l’Existence continue d’exister. Tu écris donc nous sommes. Et serons encore.

A quoi sert d’écrire ?


Tu as déjà posé la question d’à quoi sert d’écrire en général. Entre l’enregistrement des événements, la transmission de la mémoire, la collaboration à travers le temps et l’espace, le partage des idées, l’apprentissage, la réflexion et l’art, les raisons adéquates d’écrire sont innombrables pour les Humains. Après la trace, le signe et le symbole, sculptés ou peints sur la roche, le bois, l’outil, le bijou ou le vêtement, l’Humanité inventa l’écriture. Depuis lors, l’écriture est une fondation essentielle de la Noosphère, donc de l’Humanité.

Écrire n’est-il pas désormais obsolète face aux capacités de l’intelligence artificielle ?


La surcharge informationnelle et l’émergence de l’intelligence artificielle posent désormais la question de la pertinence de l’intellectuel, de la lecture, de l’écriture, et donc de l’écrivain. À quoi bon écrire si les chances d’être lus sont quasi nulles ? À quoi bon écrire si l’IA le fait mieux que nous ?

Je rejette le rejet de cette question essentielle. Pour la première fois dans l’Histoire, l’Humain est concurrencé par une de ses créations dans l’acte d’écrire donc dans l’acte de penser donc dans l’acte d’exister. Déjà, sous la férule de leurs commanditaires, des IA écrivent des mots, des billets, des articles, des poèmes, des romans, des essais, des livres même. Ces productions ont parfois l’apparence troublante d’œuvres humaines, parfois même du génie à l’œuvre. Pour la première fois dans l’Histoire, l’Écrivain est concurrencé dans son existence, sa mission même, par une création concurrente de l’Humanité.

À ce stade, reste humble : tu n’as pas la réponse à cette question. Cependant tu fais acte de foi : tu poses que non, écrire en Humain n’est pas obsolète face à l’IA. Même si la Noosphère croît de manière exponentielle et que notre attention est soumise à toutes les concurrences, y compris celles de l’intelligence artificielle, il te semble qu’écrire restera toujours un acte d’affirmation existentielle pour l’être humain. J’écris donc nous existons. Si l’on prétend que l’IA peut écrire entièrement à notre place -tu l’affirmes ici- on suppose alors qu’elle peut exister entièrement à notre place -ce que tu réfutes-. Cette double affirmation crée une aporie de sens, un nihilisme pour l’Humanité dont nous faisons partie. Car écrire c’est exister, et personne ne peut exister à notre place. Tous les écrits de l’IA ne rendront jamais obsolètes les écrits humains.

L’IA pose certes la question de l’obsolescence de l’Humanité mais l’Humanité doit lui répondre par la négative si elle veut continuer à exister, y compris dans l’écriture. Et exister est un acte de foi, irrationnel et poétique que nous ne pouvons laisser aux machines.

Il faudra cependant revenir ailleurs sur le changement définitif de la condition de l’écrivain et de l’être humain, à cause de l’émergence de l’IA.

Pourquoi te poser cette question d’écrire, toi-même ?


Allons ! Tu écris déjà chaque jour. Chaque jour ou presque, tu conçois de nouvelles entrées dans ton journal. Chaque semaine tu écris de nouveaux billets, de nouvelles publications sur les réseaux sociaux, de nouveaux courriels à tes camarades. Écrire est une activité que tu fais. C’est tout. Pourquoi vouloir la justifier puisque de toute façon, rien n’a de sens donné ? Aucune transcendance. C’est toi qui donne un sens immanent à l’acte d’écrire. Cesse de vouloir tout comprendre. Cesse de créer des problèmes là où il n’y en a pas. Agis. Écris. Agis encore. Écris encore. Peu importe. Tout est vanité. Lâche prise.

Pourquoi écrire pour Soi ?


Tu écris d’abord pour toi, parce que tu en as simplement envie. Si tu écris pour toi, c’est que tu es déterminé à le faire et que cela t’agrée. Ce serait déjà suffisant.

Si tu creuses cette question, tu écris afin de réfléchir. Tu écris afin que ta conscience soit consciente, y compris d’elle-même, c’est-à-dire qu’elle fasse œuvre de réflexivité, ce qui est le propre de la conscience. Tu écris donc pour projeter les pensées et les émotions issues de ton esprit et de ton corps sur un miroir réfléchissant, afin de pouvoir l’observer ensuite. En prenant dans ta main cette plume, tu t’arrêtes un instant pour te mettre à l’écoute de tes mouvements intérieurs, eux mêmes influencés par les mouvements du monde extérieur. Ta plume transcrit ce qu’elle entend sur du papier et des mots se posent sur tes pensées. Mais il y a un autre miroir réfléchissant qui répond au premier. Ces pensées transformées en mots rétroagissent à leur tour sur tes pensées. Pensées et mots entrent en dialogue et se répondent les unes aux autres. Les images se réfléchissent sur le double miroir de ta conscience et de tes écrits. Peu à peu, ta conscience prend davantage conscience d’elle-même, en se contemplant au travers d’une spirale réflexive. Ça y est, tu existes.

Tu écris donc pour t’observer toi-même, pour te comprendre, pour dialoguer avec toi-même, pour élaborer tes pensées, pour vivre tes émotions, pour enregistrer tes jours, pour commenter le présent, pour évoquer le passé, pour envisager le futur. Ton journal devient ainsi ton compagnon de philosophie et de sagesse. Tu parles littéralement à ton journal et ton journal te répond. Il est ton reflet et tu es le sien. Ensemble, vous progressez sur le chemin de l’Existence.

Écrire pour toi est une manière de prendre soin de toi, de ta souffrance, de ton plaisir, de ta tristesse, de ta joie, de tes malheurs, de tes bonheurs.

C’est aussi une manière de rétroagir sur toi pour mieux t’orienter dans le monde, en renforçant ce que tu veux renforcer et en dissipant ce que tu veux dissiper.

Écrire pour toi est une manière de prendre soin de l’Autre.

Pourquoi écrire pour l’Autre ?


Quand bien même tu écrirais d’abord pour toi, tu as compris qu’en écrivant à l’Autre, tu communiques mieux avec toi-même. Car l’Autre non seulement existe mais il est indispensable à ta propre existence. D’abord matériellement mais surtout existentiellement. Car l’Autre est le miroir de ton existence sans lequel on ne pourrait lui donner aucun sens. Sans reflet, tu disparais. Et inversement, tu es le miroir indispensable à l’Autre. Sans ton reflet, il disparaît. Toi-même, tu es également cet Autre pour toi-même. Même quand tu écris ton journal, ton Soi dialogue avec ton Autre. Depuis que l’écriture a été inventée, elle relie le Soi à l’Autre, et inversement.

Quand tu partages tes écrits, tu t’adresses à l’Autre, tu l’interpelles, tu reconnais son existence et tu l’appelles à reconnaître la tienne. Par l’acte d’écrire et de publier, tu relies nos consciences et tu affirmes notre existence commune.

Jean-Paul Sartre l’a montré, écrire est un acte qui affirme la Liberté, celle de l’écrivain, et celle du lecteur, donc celle de l’Humanité toute entière.

Tout n’a-t-il pas déjà été écrit ? Qu’as-tu à dire de plus que tes ancêtres ?


Les rayons de la bibliothèque de tout ce qui a été écrit par l’Humanité depuis des millénaires s’étendent à l’infini, en surface et en hauteur. Bien plus loin et plus haut que la bibliothèque d’Alexandrie, bien plus loin que les serveurs de l’Internet. La masse d’information produite et enregistrée s’accroit tous les jours, exponentiellement. Il est raisonnable d’imaginer que toutes les pensées que l’être humain pouvait formuler ont été formulées. Alors comment imaginer un instant que tu puisses écrire la moindre pensée originale ?

Pourtant, tout n’a pas encore été écrit. Et tout ne sera jamais écrit. Car toute époque est radicalement inédite. Ceux qui sont morts ne peuvent matériellement écrire sur le présent car ils sont morts auparavant. Même quand ils étaient vivants, ils pouvaient seulement esquisser ce présent futur pour eux, en se trompant forcément, car ils ne le connaissaient pas et ne pouvaient pas le prévoir précisément. Seul un contemporain peut commenter adéquatement son époque et se trouver mieux placé que ses ancêtres pour prospecter le futur ultérieur, à partir de son présent. A son tour, il sera démenti par ce futur. Le caractère inédit de chaque époque suffit donc à rendre la situation de chaque écrivain unique dans l’Histoire de l’Humanité et à justifier qu’il puisse potentiellement produire des écrits originaux.

N’écrit-on pas déjà assez aujourd’hui ? Pourquoi ajouterais-tu du désordre au désordre ?


La masse d’information et de connaissance dans la Noosphère croît a une vitesse exponentielle depuis l’invention de l’écriture, de l’imprimerie, des médias de masse, de l’informatique, d’internet et aujourd’hui de l’intelligence artificielle.

Il y a aujourd’hui une surcharge informationnelle, une infobésité, notamment liée à l’informatique et à l’Internet, qui menace l’existence même de l’Humanité, de la société et de l’individu en son sein. Comment faire entendre la moindre voix dans ce brouhaha ?

Alors que les barrières géographiques pouvaient justifier dans le passé que chaque territoire supporte une population qui devienne l’audience d’une population d’écrivains, aujourd’hui chaque écrivain peut potentiellement s’adresser à l’Humanité toute entière, pour peu d’être traduit. Or l’intelligence artificielle rend la traduction presque gratuite et instantanée.

Alors les chances sont grandes que, quelque part dans le monde, un contemporain ait déjà écrit ce que tu t’apprêtes à écrire toi-même. Pourquoi ajouterais-tu ta version redondante des mêmes idées ?

Il te semble opportun de se poser la question de l’originalité de tes projets d’écriture avant de les mener à bien. Cependant, de nombreux éléments t’indiquent que tu es en mesure de proposer une pensée originale qui n’est pas une simple redondance.

Au minimum, l’écrivain est le gardien de la mémoire d’un courant de pensée qu’il reste nécessaire de maintenir en vie, de régénérer, d’adapter à l’époque, et d’étoffer par de nouvelles contributions.

Au maximum, il faut que l’écrivain fasse le pari de proposer une contribution originale à l’Humanité. Sans quoi le silence règnera forcément et la conscience s’éteindra dans l’Univers.

N’y en a-t-il pas déjà qui écrivent ce que tu veux dire ? Qu’as-tu à dire de plus que tes contemporains ?


Si tu peux argumenter à ce stade qu’il reste pertinent d’écrire, et que des Humains doivent en faire le pari, il reste à démontrer qu’il est pertinent que TU écrives. Car ton époque ne manque pas d’écrivains contemporains brillants, jeunes ou vénérables, émergents ou confirmés, parmi les artistes, les scientifiques, les activistes, les politiques, les entrepreneurs, les journalistes, etc. : Edgar Morin, Naomi Klein, Isabelle Stengers, Aurélien Barrau, Pablo Servigne, David Van Reybrouck, Greta Thunberg, Delphine Batho, etc.

Que pourrais-tu bien écrire de plus et mieux qu’eux ? Rien sans doute…

Cependant tu constates déjà que la plupart de ceux que tu cites n’ont pas le même profil, la même expérience, la même expertise et la même vision que toi. Ta situation est bel et bien unique et tes écrits jusqu’à présent démontrent que tu peux produire une pensée originale donc non redondante, même par rapport aux écrivains que tu admires et à leurs sujets semblables aux tiens.

Aujourd’hui, il n’y a pas trop d’écrivains qui écrivent sur les sujets qui te préoccupent. Tu as le droit de tenter humblement de rejoindre leurs rangs ainsi que la légitimité requise pour le faire. Et cela est bel et bon. Renvoie ton syndrôme de l’imposteur dans les vestiaires et entre dans la lumière de la scène malgré ton trac.

Par ailleurs, tu préconises une vision humaniste de l’intelligence. Nous avons tous un cerveau, nous pouvons potentiellement tous penser, écrire et publier. Écrire n’est pas réservé à une caste supérieure même si tu es consciences du privilège de vouloir et pouvoir écrire. Et si nous étions tous des écrivains, l’Humanité ne s’en porterait-elle pas mieux ?

Qu’as-tu de mieux à écrire qu’un autre écrivain ?


Tant de gens veulent écrire voire devenir écrivain. Tant de gens ont ce fantasme, moins ont cette ambition, moins s’y essaient, moins y persévèrent, moins y parviennent, moins y aboutissent, moins obtiennent une reconnaissance, moins en font leur vocation, moins accèdent au génie, moins inscrivent leur œuvre dans la mémoire des Humains. Qu’est-ce qui te fait penser que tu as suffisamment de talent et d’histoire à raconter que pour t’autoriser à prétendre à la vocation d’écrivain ? Comment oses-tu déranger le panthéon de tes illustres ancêtres par tes borborygmes et tes caraboutchas ?

Et bien jeune impudent, tu oses prétendre à écrire ? Très bien mais alors fais le de toute ton âme, de tout ton esprit, de tout ton cœur et de tout ton corps. N’épargne pas tes efforts et, si tu échoues, tu n’auras rien à regretter. Car tous tes illustres ancêtres ont dû faire mentir le destin.

Que peux écrire toi-seul ?


En prolongeant cette réflexion, tu ressens le devoir d’éviter autant que possible la redondance avec l’existant, comme une discipline sacrée de l’écrivain.

Bien sûr, il s’agira de transmettre la mémoire des écrivains du passé, une mission essentielle.

Bien sûr, il s’agira de transmettre les écrits les meilleurs de tes contemporains, en les évoquant, en les commentant, en les traduisant, en les résumant. Une autre mission essentielle.

Bien sûr, il s’agira de critiquer, défendre ou pourfendre les écrits de tes contemporains, amis ou ennemis. Une mission essentielle supplémentaire.

Mais outre ces travaux nécessaires qui permettent d’assurer une propagation éclairée des idées les plus adéquates, tu pourras oser proposer des idées radicalement neuves. En effet, créer est une des réponses principales au sens de l’Existence. Et créer signifie produire du radicalement neuf. L’acte d’écrire est un acte de création pure quand il ouvre des voies jusqu’alors inexplorées.

Que peux écrire toi-seul ? Tu l’ignores encore. Mais si tu n’écris pas, ni toi ni personne ne le sauront jamais. Il te faut tenter ta chance. Au risque d’échouer. Au risque de réussir.

As-tu vraiment le temps d’écrire face à l’Urgence ?


L’Urgence écrase le temps. Nous sommes comme pris dans un trou noir écologique. Est-ce vraiment le moment de se mettre en retrait pour griffonner des mots en vue d’obscures publications pour un petit cercle de oisifs ?

Oui, tu le penses.

Ne devrais-tu pas plutôt choisir des modes d’actions plus performatifs ? Construire des alternatives, t’opposer aux phénomènes écocidaires, prendre soin des autres et de toi-même ? Agir dans le monde et non le contempler et le commenter ?

D’abord, l’un n’empêche pas l’autre !

Ensuite, tu penses que les idées gouvernent le monde. En particulier, notre métaphysique gouverne notre société et notre politique. La mission suprême de l’écrivain est celle de forger des mots comme on forge des outils pour construire un nouveau monde. Nous manquons de mots pour penser l’Urgence, l’Écocide et la Métamorphose. Faute de pouvoir penser nous échouons à agir. Forge les mots qui sauvent !

Enfin, l’Urgence est telle qu’il serait de la folie de se lancer dans l’action sans avoir pris au moins un peu de temps pour réfléchir, et donc écrire.

Qu’est-ce qu’il est indispensable d’écrire ?


Qu’y a-t-il de plus essentiel que sauver l’Existence ? L’Écologie est La Cause.

Tu écriras donc l’Urgence, contre l’Écocide et pour la Métamorphose.

À qui écrire ?


Écris à ceux qui ont des oreilles pour entendre et des yeux pour voir. Écris aux élites lettrées, écris aux classes moyennes éduquées, écris aux classes populaires autodidactes. Écris aux décideurs et aux suiveurs. Écris aux travailleurs et aux patrons. Écris aux jeunes et aux vénérables. Écris aux générations présentes et futures. Écris à tout ceux qui pourront et voudront te lire.

Pour qui écrire ?


Écris pour les petits, les esclaves, les opprimés, les humiliés, les impuissants, les victimes, les écocidés. Écris pour les Humains qui ne peuvent ni parler ni écrire. Écris pour les Vivants qui ne peuvent ni parler ni écrire.

Ne défends pas la Vie, sois la Vie qui se défend. N’écris pas la Vie, sois la Vie qui écrit.

Écrire est-il un mode d’engagement suffisamment puissant ?


Ainsi tu restes seul chez toi à écrire plume en main, dans ta caverne, pendant que d’autres sont dans l’arène et luttent avec leurs mains nues.

Oui. Mon glaive est ma plume. Et de ce glaive, j’entends pourfendre les idées qui nous tuent et de cette plume, j’entends tracer les traits des idées qui nous font vivre.

Les idées gouvernent le monde et les mots engendrent l’Histoire.

Écrire est donc un des modes d’engagement parmi les plus puissants.

Écrire est-il ton mode d’engagement le plus puissant ?


Face à l’Écocide et l’Urgence, l’efficacité de l’engagement est un impératif éthique catégorique. On ne peut tolérer la diversion et la dispersion. Chacun devra s’emparer de l’outil qu’il maîtrise le mieux.

Admettons qu’écrire soit un mode d’engagement parmi les plus puissants, soit. Mais pourquoi serait TON mode d’engagement le plus puissant ?

Parce que je ne sais manier sérieusement aucune autre arme, je le déplore. Je suis un ouvrier trop gracile, un technicien trop maladroit, un ingénieur trop perfectionniste, un scientifique trop dissipé, un artiste trop rigoureux, un commerçant trop généreux, un soldat trop pacifique, un entrepreneur trop timoré, un chef trop démocrate, un diplomate trop franc, un gourou trop hésitant, un leader politique trop solitaire.

Voilà, écrire est la seule arme qu’il me reste. La seule que je pense manier avec moins d’hésitation que toutes les autres. Écrire est ce qui exprime je crois le mieux ma puissance individuelle d’agir, étendue au collectif.

Écrire est donc le mode d’engagement le plus puissant pour toi.

Quel sens donnes-tu à ton activité d’écrire ?


J’écris pour la Vie et contre la Mort. Contre le Mal, l’Absurde, le Tragique, J’écris pour contribuer à sauver l’Existence, la Vie, l’Humanité, la Sensibilité, l’Intelligence, la Conscience, la Liberté, la Paix, la Justice, la Vérité, le Bien, la Beauté, la Joie. J’écris pour dénoncer l’Écocide et promouvoir la Métamorphose. J’écris pour sauver cette faible lueur dans l’Univers. J’écris pour exister, contempler l’existence, créer, aimer et m’engager.

Ce blog en particulier a pour objectifs de :

  • Contempler
    • Essayer d’observer le plus possible l’Existence, l’Univers, la Vie, l’Humanité, soit le Réel, tels qu’ils sont
    • Tirer des leçons de cette observation
  • Inspirer
    • Essayer de partager le souffle éthique qui m’anime et donner envie à des gens de se réunir, de penser et d’agir, de s’engager, pour contribuer à la Métamorphose
  • Influencer
    • Essayer de convaincre des gens du bienfondé de certaines idées
  • Outiller
    • Proposer des outils de pensée et d’action qui me semblent utiles et nécessaires
  • Engager
    • Contribuer à ce que des gens s’engagent pour contribuer à la Métamorphose


Pourquoi écrire si ça ne sert à rien ?


Et si après avoir passé outre tous les obstacles à ton syndrome de l’imposteur, un dernier fossé te séparait de l’acte d’écrire : la vanité ? Combien ont écrit avant toi ? Avec quels résultats ? Cela a-t-il empêché l’esclavagisme, la domination, l’exploitation, la torture, la Shoah, l’Écocide bref, le Mal ? Non.

Pourtant, tu le sens, il faut adopter cette éthique de résistance face au Mal qu’évoque Edgar Morin. Écrire c’est résister.

Et même s’il était vain d’écrire, écrirais-tu encore ?

Oui !

Pourquoi ?

Pour le panache !

Pourquoi écrire finalement ?


Et bien te voilà beaucoup plus avancé… À nouveau, au détour des carrefours du labyrinthe, tu rencontres à nouveau le Mystère.

À quoi sert que tu écrives ? À rien ? À tout ?

Avoue-le : c’est un mystère !

Alors écris ce mystère.




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2 réponses à “Méditation n°29 : à quoi sert que tu écrives ?”

  1. Avatar de Cédric Chevalier

    –améliorer reflet miroir

    –ajouter écrire c’est faire exister l’autre (ancien, vivant et à venir)

    –ajouter que tout n’a pas été écrit car la pensée évolue internement : nous pensons du radicalement neuf ; et externement : le monde produit du radicalement neuf

    –sous population d’écrivains

    –géographiques et techniques

    –insister sur, si tu bats potentiellement tes ancêtres morts 1) en fait non  pas sur toute pensée pérenne 2) tu ne bats pas nécessairement tes contemporains

    –sur redondance : impossible que 2 écrivains disent exactement la même chose de la même manière en réalité 2) nécessaire d’être plus nombreux à dire ces choses précieuses (nous ne sommes pas trop nombreux, loin du compte) 3) redondance = résilience face aléas qui neutralisent l’écrivain) 4) nécessité de réfléchir ensemble = nécessité d’une communauté d’écrivains 5) nécessite de redondances spatiales ET temporelles (aujourd’hui et vers le passé- re-porter la voix des autres écrivains contempo et morts)

    — désordre au désordre + contemporains ds titre

  2. Avatar de Cédric Chevalier

    Titres désordre et contemporains et autres écrivains redondant ?

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