Méditation n°11 : que faire de ton existence, face au Mal ?




Tu as exploré la question fondamentale du sens de l’Existence.

Tu as exploré la question éthique -du que faire ? en général– et la question existentielle -du que faire de ton existence ?– en particulier.

Les réponses génériques de la philosophie à ces questions, que tu fais tiennes, sont : « donner un sens à sa vie », « mener la vie bonne », « faire le bien », « exister », « contempler », « créer », « aimer ».

Mais il y a un mais. Le Mal.

Tu as brièvement exploré la question du Mal, dans toute sa complexité. Tu en as déduit la question du Tragique, qui se superpose à celle de l’Absurde.

Tu as posé la désirabilité du Bien, par définition.

Tu as posé qu’il existe des impératifs éthiques catégoriques à cause de la désirabilité du Bien et de la nécessité de lutter contre le Mal.

Tu peux donc mieux affiner maintenant la réponse à la question de ce qu’il arrive au « que faire ? » face à la réalité inexorable, même si contestée et mystérieuse, du Mal.

Ces faisceaux de réflexions te conduisent systématiquement à la question de l’Engagement. Il s’agit alors de formuler progressivement une éthique de l’Engagement.

« Donner un sens à sa vie », « mener la vie bonne », « faire le bien », « exister », « contempler », « créer », « aimer »… ne suffisent en effet pas. Parce qu’il y a le Mal.

Imagine le plus grand sage que la Terre ait jamais porté. Imagine par exemple un Bouddha ayant atteint l’éveil après de longues années de perfectionnement spirituel. Imagine le, méditant dans sa retraite, loin du fracas de la vie et des humains. Il est assis en tailleur sous un arbre vénérable. Seul son souffle régulier, le bruissement des feuilles, animé par une brise légère, et le contact rassurant du sol qui porte son corps, émaillent ses perceptions. Il est l’ermite parfait baignant dans le sentiment de béatitude de la pleine conscience, goutte d’eau dans l’océan, atome dans l’Univers, particule cosmique parmi les particules, relié au Tout. Il s’agit bien là pour certains du sentiment d’Éternité.

Imagine maintenant que sa méditation est soudain troublée. Il entend des cris de douleur. Un enfant appelle au secours. Le sage ouvre les yeux calmement. Effectivement, un forcené est en train d’agresser violemment un petit enfant, au risque de le tuer. Bien que le sage ait atteint le niveau de sérénité le plus élevé à l’instant qui précède, une inquiétude le gagne. « Que faire ? Cela, cette agression soudaine, est commis sous mes yeux. Cela, cette agression soudaine, est commise envers un être sensible, conscient, vulnérable, qui risque la mort. Cela, cette agression soudaine, je peux agir pour tenter de l’empêcher. Cela, cette agression soudaine, c’est le Mal, je le sais, peu importe ce que signifie ce mot. Et bien que je ne puisse supprimer le Mal à jamais, je peux agir, ici et maintenant, pour tenter de l’empêcher. Je peux agir pour tenter de minimiser le Mal. »

Et le sage de continuer :
« Ainsi, je suis responsable devant le regard de ce petit enfant. Si je n’agis pas, si je demeure dans ma méditation, dans ma retraite où j’existe, je contemple, je crée et j’aime, cela ne peut pas suffire. Car cet enfant pourra me regarder fixement, sous ses paupières fermées par la mort et crispées par la souffrance, ses yeux figés droit dans mes yeux, et me poser cette terrible question : « Que m’as-tu fait ? » »

« Ainsi, je suis responsable devant le regard des parents, des frères et sœurs de cet enfant, je suis responsable devant le regard de tous les citoyens de ma Cité, je suis responsable devant le regard de l’Humanité, dans ses générations présentes et futures. »

« Cet enfant pourra me poursuivre de ses questions : « Pourquoi es-tu resté inerte face au Mal ? Pourquoi n’as-tu pas essayé d’agir pour l’empêcher, alors que tu en avais le pouvoir ? Que me répondus-tu à cela ? » » Ses parents, ses frères et sœurs, mes concitoyens, l’Humanité pourrait me poursuivre de ses questions, auxquelles j’aurais à répondre.

Je dois répondre de mes actes par rapport à ma puissance d’agir face au Mal. De là découle la Responsabilité, son sens même.

Il te semble donc que la poursuite de la vie bonne totalement indépendante du sort de l’Autre est impossible. L’être humain est un être vivant sensible, intelligent et conscient. Il est relié au reste de l’Humanité et du Vivant, en totale interdépendance. Son sort dépend du sort de l’Autre. La Reliance est donc indispensable à la vie bonne. Nul homme n’est une île, un tout en soi.

T’engager à minimiser le Mal, outre faire le Bien, ressemble donc furieusement à un impératif catégorique, absolu. Même l’ermite qui se suffit à lui-même en théorie, doit agir pour empêcher qu’on commette du mal envers un Autre, l’enfant vulnérable étant la quintessence de cet autre vulnérable.

La vie bonne, nécessairement, ne peut se concevoir sans lutter contre le Mal, qui détruit nécessairement le Bien dans son potentiel et sa réalisation. La figure célèbre de l’archange Saint Michel qui terrasse le Mal, représenté comme le diable ou un dragon, symbolise ce terrible constat : le Bien ne peut rester désarmé face au Mal. Le Bien doit avoir une puissance suffisante pour ne pas être anéanti par la puissance du Mal. La vie bonne, nécessairement, ne peut se concevoir sans l’Engagement. Et l’Engagement consiste en maximiser le Bien et minimiser le Mal. Une éthique de l’engagement est donc indispensable. Une stratégie de l’engagement est donc indispensable.

Que faire de ton existence, face au Mal ? Exister, Contempler l’Existence, Créer, Aimer… et t’Engager.

L’archange Saint Michel

Peinture de Guido Reni, église Santa Maria della Concezione, Rome, 1636.

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