Méditation n°6 : que faire de ton existence ?




Tu as abordé de manière générale la question du « que faire ? » éthique. Tu souhaites ici préciser ta réponse personnelle à cette question, celle de la valeur d’une existence authentiquement humaine.

Comme être vivant semble manifestement une condition nécessaire à l’existence, tu peut d’abord vouloir simplement survivre biologiquement, a priori le plus longtemps et avec la meilleure santé possibles.

Mais tu imagines sans peine la piètre existence d’un être humain qui ne ferait que survivre, c’est-à-dire dont on pourrait seulement observer qu’il n’est pas mort. Les personnes inconscientes dans le coma survivent. Les personnes démentes survivent. Tu constates que la survie sans la conscience autonome a peu voire pas de valeur du tout.

De même, tout en étant conscientes, les personnes accaparées toute leur existence par la nécessité brutale de la survie biologique, ont-elles pu vivre et exister ? Cette question n’est pas sans intérêt, car ceux qui ont subi se sort se comptent en milliards depuis l’émergence de l’espèce.

Tu imagines sans peine la non existence d’un être humain qui ne ferait que souffrir. Les prisonniers torturés survivent. Mais est-ce vivre que d’être enfermé et torturé tout sa vie ? Il n’est pas étonnant que ceux-là choisissent de se suicider, répondant par eux-mêmes à la question de la valeur de leur existence.

Tu imagines enfin la faible valeur d’une existence consciente, sans souffrance, mais remplie par l’ennui.

Donc survivre, ni dans l’inconscience ni dans la souffrance ni dans l’ennui, n’est suffisant pour exister. Tu vois bien que pour exister, il faut non seulement survivre, mais aussi vivre.

Que signifie alors vivre ? Qu’y a-t-il de plus que la simple survie biologique ? Tu as déjà abordé cette question. Mais il faut ici aller plus loin. Que signifie vivre authentiquement ? Tu pourrais énumérer certains aspects : disposer de sa conscience, échapper autant que possible à la souffrance, ne pas rester inerte dans l’ennui, faute de quoi tu reviendrais à la simple survie. Comme ta conscience émerge d’un support biologique, ton corps, vivre signifie aussi pouvoir entretenir, nourrir, laver, soigner ce corps et pouvoir l’utiliser, marcher, courir, nager, chanter, danser, manipuler, penser, parler, écrire, sentir, voir, écouter, goûter, toucher, etc. dans la plus grande sécurité possible.

Vivre, au delà des actions de ton corps -finalement, dans une certaine perspective spinozienne, toute l’existence émerge du corps, y compris la conscience et la pensée-, c’est aussi exprimer du sens dans la sphère humaine, par ces actes corporels. Accueillir, inviter, partager, rencontrer, éduquer, négocier, aimer, etc.
Si la survie est le maintien du potentiel existentiel, la vie est la réalisation de ce potentiel.

Que signifie vivre d’une façon authentiquement humaine ? Cela signifie que tu peux faire et que tu fais ce qu’un être humain peut faire pour réaliser son bonheur et celui d’autrui. Car on ne peut dissocier la question éthique personnelle d’une finalité, celle de donner de la valeur à son existence. Là se trouve une limite existentielle : tu ne peux rien faire de plus que vivre de façon authentiquement humaine. Ton horizon des possibles est limité à la Nature humaine et à la Condition humaine, ni plus ni mois. Ce n’est que dans une perspective transhumaniste que tu pourrais imaginer transgresser cette Nature et cette Condition humaines, et en particulier ton expérience existentielle personnelle, par exemple en créant une forme de vie artificielle intelligente, sensible et consciente, ou en fusionnant avec cette forme de vie artificielle (cyborg, téléchargement de l’esprit, etc.).

Tu peux maintenant croiser la question de la survie et de la vie en évoquant la prise de risque. Si la survie était la finalité, il ne te faudrait prendre aucun risque vital. Quel vie ennuyeuse et insensée tu mènerais alors ! Non ! Vivre implique de prendre des risques. Escalader, plonger, nager, voler, courir, sauter, manger, rencontrer, voyager, tout cela implique des risques, parfois vitaux. Mais tu peux prendre des risques calculés.

Tu as cerné grossièrement la survie et la vie. Mais ce n’est pas tout. Ce qui compte, c’est d’exister, exister vraiment. Tu peux en effet survivre et vivre de la naissance à la mort, en donnant l’apparence d’une vie authentiquement humaine, alors qu’il n’en serait rien. Balloté par les flots, ta barque auraient suivi les courants, sans conscience du caractère unique de son existence, sans réflexivité… sans Engagement ! Vivre, malgré les apparences extérieure de l’action, peut très bien être totalement passif ! Tandis qu’Exister exige un engagement intérieur actif ! Exister est un fait un acte, et un acte créatif. Exister exige d’être autonome et donc réflexif, responsable, engagé.

Car voilà peut-être ce que signifie l’Engagement au sens le plus large : le fait de prendre sa vie en main, pour Exister !

Et c’est là que tu as mis le doigt sur une première triade qui pourrait résumer ta réponse à la question « que faire ? » ou « que faire de ta vie ? ».

Ta réponse serait : EXISTER, CONTEMPLER L’EXISTENCE, CRÉER.

Exister implique de survivre et de vivre avec conscience de sa survie et de sa vie, avec conscience de soi-même et de l’autre, et de créer.

Tu peux en effet considérer la conscience de ta conscience (la conscience de soi-même comme un Autre), la conscience de l’Autre, la conscience de la Vie, la conscience de l’Univers, la conscience de l’Existence. Exister implique de déployer la conscience, sa conscience. Exister implique de contempler l’existence, dans un geste réflexif et récursif.

Exister implique de créer, c’est-à-dire d’incarner la Vie, d’incarner l’Univers, d’incarner l’Humanité, d’incarner la Conscience, en création continue, de déployer ta puissance d’agir dans le Réel, d’intensifier l’expérience de l’existence.

Enfin, exister implique d’Aimer, c’est-à-dire de créer des reliances bénéfiques entre toi, l’Autre, la Vie, et l’Univers. Nul Humain n’est une île peut être élargi : nul être n’est une île. Chaque partie est reliée aux autres parties, la partie au tout, le tout à chacune des parties. L’Existence est Reliance, est lien. Chaque élément d’existence est conditionné par l’existence des autres éléments. Rien n’existe indépendamment du reste de l’Univers. Aimer l’Existence, aimer la Vie, aimer l’Univers, aimer l’Humanité, aimer la Conscience. T’aimer toi-même comme un Autre, aimer l’Autre comme toi-même. Aimer n’est jamais qu’une autre forme d’exister, de contempler et de créer. Aimer, c’est donc faire œuvre de Reliance, c’est reconnaitre la liaison ultime de toutes choses.

Tu te souviens que le philosophe Schelling écrivait dans « L’âme du monde » (1798), que l’Humanité est ce qui permet à l’Univers de prendre conscience de lui-même. L’Humanité est ce qui relie l’Univers à lui-même, qui permet à l’Univers de s’aimer lui-même.

Cela implique donc quatre verbes d’action. Que faire de ton existence ?

EXISTER, CONTEMPLER L’EXISTENCE, CRÉER et… AIMER.