Éternité – Sentiment océanique – Flow





« Il est de la nature de la Raison de percevoir les choses comme possédant une certaine sorte d’éternité. »

Baruch Spinoza, Éthique, partie II, proposition 44, corollaire 2.



Vous souvenez-vous de ces moments suspendus de joie profonde lorsque vous étiez enfant ?

Vous escaladiez un arbre, vous plongiez dans les vagues, vous jouiez avec vos camarades sans vous soucier de l’heure, vous courriez dans les bois… Vous souvenez-vous de l’effacement du temps, de l’espace et de l’ego ? Cette sérénité où vous vous dissolviez dans les images, les sons, les odeurs, les goûts et les sensations du monde ? Cette synchronie avec la pulsation de la vie ? Cette conviction que ce jour d’été ne prendrait jamais fin ? Que l’été lui-même ne finirait jamais ?

Couché dans les moissons d’un soir étoilé, vous vous perdiez dans la contemplation de la voûte céleste. Absorbé par la stratégie, vous jouiez encore et encore à ce jeu de société. Emporté par le défi, vous ne vouliez plus quitter ce match de foot, descendre de ce vélo ou renoncer à franchir ce ruisseau.

Vous souvenez-vous de cette sensation de plénitude parfaite ?

Le sentiment d’Éternité est peut-être la clef de l’Existence.

Il s’agit vraisemblablement de la plus haute expérience humaine, de l’expérience suprême, la plus spirituelle, la plus existentielle, la plus complète, la plus pure, la plus épanouissante, la plus édifiante.

Ce sentiment rejoint les expériences intérieures décrites lors des moments les plus satisfaisants de la vie par des sages, des philosophes, des scientifiques, des artistes, des sportifs, des activistes, des parents, des enfants, des êtres humains de toute condition et de toute culture, partout dans le monde, depuis toujours.

Il se pourrait bien que ce sentiment soit celui qui accompagne le phénomène conjoint de l’Existence, de l’Univers et de la Vie lorsqu’il se contemple lui-même au travers de la conscience humaine, dans une présence totale au flux de l’expérience. Le sentiment d’Éternité pourrait s’expliquer par le fait que l’être humain soit « l’organe via lequel l’Univers commence à prendre conscience de lui-même », pour reprendre les mots du philosophe Schelling.

Nombreux sont les termes qui décrivent ou nomment ce sentiment : joie, plénitude, sérénité, béatitude, ataraxie, équanimité, tranquillité de l’âme, état de grâce, paix intérieure, harmonie universelle, calme, détachement, bonheur, eudaimonia, félicité, quiétude, unité, présence, contentement, satisfaction, bien-être, impassibilité, exstase, instase, zone, vague, expérience-flux, etc.

Nombreux sont les pensées et penseurs qui la décrivent : nirvana des hindouistes, jaïnistes et bouddhistes, ataraxie ou équanimité des épicuriens, des stoïciens et des sceptiques, Tao des taoïstes, transe des derviches tourneurs et des Chamans, extase des mystiques chrétiens, sentiment d’éternité vécu par le philosophe Blaise Pascal, béatitude selon le philosophe Baruch Spinoza, sentiment océanique décrit par l’écrivain Romain Rolland, instase telle que conceptualisée par l’historien des religions Mircea Eliade, flow ou expérience-flux théorisée par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi, fait d’être sur la vague pour les surfeurs, etc.

La notion d’éternité a des significations très diverses dans les spiritualités et religions -animistes, indouiste, juive, bouddhiste, chrétienne, musulmane, etc.- et les philosophies et les sagesses -stoïciens, épicuriens, spinozistes, etc. Jésus, Siddhârta Gautama (le Bouddha), Spinoza, Nietzsche, Rolland et bien d’autres sages en ont parlé.

Notre sens commun occidental associe au mot « éternité » le sens de la durée temporelle infinie, à cause de la notion chrétienne de « vie éternelle ». On doit écrire « la » durée temporelle infinie et non pas « une » car il ne peut y avoir de durée temporelle plus longue, par définition de l’infini. En ce sens, un phénomène éternel a une durée temporelle infinie. Cet infini peut concerner le passé comme le futur car éternité peut vouloir dire « sans début ni fin ». Tandis que vivre éternellement c’est être d’une certaine manière immortel. Bien qu’ayant un caractère infini, cette conception de l’éternité est clairement quantitative, elle implique une extension sans limite de la quantité.

Il faut se dissocier ici de ce sens chrétien, déterminé par notre culture, pour explorer l’autre sens principal du mot « éternité ». Cette autre conception n’a aucun caractère quantitatif. Il s’agit d’une notion purement qualitative qu’on peut écrire « Éternité », pour la distinguer de l’éternité du sens commun occidental chrétien, bien qu’il ne faille pas ignorer pas que certains théologiens pourront associer l’éternité chrétienne à l’Éternité qui nous intéresse ici.

Alors que la notion d’éternité est quantitative et extensive, la notion d’Éternité est qualitative et intensive. Son infini ne se trouve pas dans un développement temporel infini mais dans une concentration temporelle infinie. Il s’agit d’un surpli et non d’un dépli.

Cette Éternité génère un sentiment atemporel et aspatial, qui transcende les dimensions du temps et de l’espace. Dans le sentiment d’Éternité, il n’y a ni passé, ni futur, seul le présent, il n’y a pas d’ailleurs, il n’y a que l’ici. Il n’y a plus d’ego, il n’y a plus que l’être, l’existence. La réflexivité tend à boucler sur elle-même, sans remise en question des limites entre Soi et l’Autre. L’identité se dissout et se confond avec le réel. On fait un avec l’Univers, avec le Tout. On trouve l’infini dans le fini. L’intensité existentielle plutôt que l’extension spatio-temporelle.

On peut associer ce sentiment à celui du sentiment océanique, une expression formulée par l’écrivain Romain Rolland dans une lettre à Sigmund Freud en 1927.

On peut évoquer, outre l’Éternité et le sentiment océanique, la notion de « flow » développée par le psychologue hongrois et américain Mihály Csíkszentmihályi.

Enfin, on peut noter que la méditation est une activité qui permet d’atteindre régulièrement ce sentiment d’Éternité. En sachant que de nombreuse autres activités peuvent favoriser l’émergence de ce sentiment comme la pratique des arts, des sports, l’écriture, la recherche scientifique, la cuisine, le ménage, les activités en pleine nature, l’artisanat et le bricolage, la programmation, etc. Cela à condition que les bons ingrédients soient réunis, comme indiqué ci-dessous.

En psychologie positive, le flow – mot anglais qui se traduit par flux –, zone, ou expérience optimale, est un état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement plongée dans une activité et qu’elle se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement. Fondamentalement, le flow se caractérise par l’absorption totale d’une personne par son occupation.

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Atteindre le flow se dit aussi « être dans la zone ». Dans les versions françaises des textes de Csíkszentmihályi, on trouve indifféremment les termes de « flux », d’« expérience-flux », d’« expérience optimale » ou de « néguentropie psychique ».

Selon Csíkszentmihályi, le flow est un état totalement centré sur la motivation. C’est une immersion totale, qui représente peut-être l’expérience suprême, employant les émotions au service de la performance et de l’apprentissage. Dans le flow, les émotions ne sont pas seulement contenues et canalisées, mais en pleine coordination avec la tâche s’accomplissant. Le trait distinctif du flow est un sentiment de joie spontané, voire d’extase pendant une activité.

En français, on emploie parfois, au sens profane, l’expression état de grâce, par exemple lors d’une prise de fonction ou d’un oral d’examen : les situations comme les actions à effectuer semblent alors se présenter de façon très claire.

[…]

Jeanne Nakamura et Csíkszentmihályi ont identifié six aspects entourant une expérience de flow :

  • concentration intense focalisée sur le moment présent ;
  • disparition de la distance entre le sujet et l’objet ;
  • perte du sentiment de conscience de soi ;
  • sensation de contrôle et de puissance sur l’activité ou la situation ;
  • distorsion de la perception du temps ;
  • l’activité est en soi source de satisfaction (ou autotélique).


Ces aspects peuvent être présents indépendamment les uns des autres, mais seule la combinaison de plusieurs d’entre eux permet de constituer une véritable expérience de flow.


La psychologue Kendra Cherry a mentionné trois autres composantes faisant partie de cette expérience :

  • rétroaction immédiate (les réussites et difficultés au cours du processus sont immédiatement repérées et le comportement ajusté) ;
  • sentiment de potentielle réussite ;
  • sentiment d’une expérience tellement passionnante que les autres besoins semblent négligeables.

Comme pour les conditions précédemment listées, elles peuvent être indépendantes les unes des autres.

Flow (psychologie) — Wikipédia (wikipedia.org)


Enfin, notons que certains conceptions métaphysiques vont au bout du sentiment d’Éternité pour défaire notre distinction traditionnelle d’espace à 3 dimensions évoluant dans une 4ème dimension temporelle.

Selon l’éternalisme et la théorie de l’Univers-bloc, tout ce qui existe dans le continuum espace-temps existe sub specie æternitatis, autrement dit de toute éternité.

Sentiment océanique — Wikipédia (wikipedia.org)



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