Méditation n°39 : que faire face au Mal inévitable ?


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« Rappelle-toi que bientôt tu ne seras plus rien, ni toi, ni aucune des choses que tu vois, ni aucun des hommes qui vivent en ce moment. Toutes choses sont nées pour changer, s’altérer et disparaître, afin que d’autres choses, toujours renouvelées, naissent à leur place. »

Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle (121-180)



L’Écocide, la guerre au Moyen-Orient ou en Ukraine, la pauvreté ici et ailleurs, la croissance de l’extrême droite, la médiocrité ambiante, la maladie, les décès de proches, les petites agressions et bassesses du quotidien… Chacun subit au cours de son existence une part de Mal inévitable. Chacun en souffre.

Quelle est la part évitable et inévitable de cette souffrance ?

Que faire face au Mal inévitable ?

Tu as abordé les phénomènes fondamentaux du Mal, de l’Absurde, du Tragique, de la Souffrance, de l’Adversité et de l’Écocide. Tu rejoins ceux qui pensent que le Mal existe.

Tu as identifié le Mal causé par l’Univers et le Mal causé par l’Humanité en son sein, et la différence de puissance d’agir et de responsabilité que nous avons potentiellement à l’égard de ces différents types de maux. Cela bien que l’Humanité soit partie à l’Univers.

Tu as posé la désirabilité du Bien, par définition.

Tu as mis à jour qu’il existe des impératifs éthiques catégoriques à cause de la désirabilité du Bien et de la nécessité de lutter contre le Mal, toujours indésirable en principe.

Tu fais le pari d’un libre arbitre et d’une puissance d’agir, individuelle et collective, face à l’enjeu du déterminisme. Tu fais le pari de la Liberté. Tu constates qu’il est possible de lutter contre le Mal, seul et ensemble.

Suite à ce débroussaillage philosophique, tu as déduit la nécessité de lutter contre le Mal au travers de l’Engagement. Que faire de ton existence, face au Mal ? Exister, Contempler l’Existence, Créer, Aimer… et t’Engager.

Cependant, toutes ces belles réflexions philosophiques et ta pratique méditative, ne t’épargnent pas de subir toi-même le Mal, et ne pourront jamais t’en préserver complètement. Et cela ne peut non plus épargner et préserver l’Autre d’être frappé à son tour, quelle que soit sa sagesse. De plus, toi-même et l’Autre sont des agents inévitables du Mal, envers toi-même et l’Autre, cela même après qu’il ait été minimisé au mieux de la puissance d’agir de l’Humanité toute entière.

La Méditation et la philosophie peuvent t’aider à lutter contre le Mal qui te frappe et qui frappe l’Autre, mais elles n’en viendront jamais à bout, ni temporairement ni définitivement. Toujours, le Mal renaît de ses cendres et dépasse la puissance d’agir humaine. Il restera toujours des phénomènes malfaisants contre lesquels, malgré toute ta puissance d’agir, tu resteras impuissant. Tu en as fait l’inventaire parmi tout ce que tu ne pourras jamais changer dans l’Existence. La puissance d’agir est, dans tous les cas, limitée.

Faisons maintenant cette expérience de pensée. Tu constates l’existence du Mal, la possibilité et la nécessité de lutter contre lui, et tu t’engages effectivement dans cette lutte. Avec du talent et de la chance, toi et d’autres parvenez à minimiser le Mal dans la mesure de votre puissance d’agir individuelle et collective. Et malgré toute votre bonne volonté, toute votre énergie, tout votre talent, le Mal continue à frapper l’un ou l’autre, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou demain. Un sentiment d’impuissance et d’amertume t’envahit. Toi qui a tout essayé, tu es le témoin impuissant du Mal qui continue à frapper.

Une part du Mal semble inévitable, à la fois au sens strict, parce que nulle puissance humaine ne peut l’empêcher, et au sens historique, parce que certains maux évitables en principe finissent par advenir tôt ou tard à cause de l’imperfection humaine. Il est souvent trop tard pour éviter le Mal qui était auparavant évitable.

La Mort, la maladie, l’accident, la vieillesse, la souffrance qui les accompagne, semblent des phénomènes universels en bonne partie inévitables, c’est le Mal « naturel ». Le Mal humain, s’il semble a priori et en principe totalement évitable, se révèle en pratique en partie inévitable, notamment parce que le libre arbitre permet à certains de persévérer dans le Mal et parce que des phénomènes déterministes puissants viennent s’ajouter aux défauts individuels (l’Humanité faisant partie de l’Univers, est soumise à ses lois déterministes également, si pas entièrement, du moins fortement).

Et donc le Mal te frappe toi et l’Autre.

Et tu souffres. Et l’Autre souffre. Inexorablement.

Encore et encore, comme le malheureux Job dans la Bible.

Que faire à ce moment qui nous concerne toutes et tous ?

C’est là que tu souhaites reprendre tes méditations.

Tu commences par admettre que, par définition, le Mal inévitable est … inévitable. S’il existe bel et bien une part de Mal inévitable, tu ne peux strictement RIEN faire pour l’empêcher.

Dès lors, toute passion triste est ici insensée, fruit du désir, de la haine et de l’illusion. Insensé d’être irrité, en colère, effrayé, inquiet, triste, amer, déçu, découragé, résigné, désespéré, rancunier, attentiste, dans le déni, le rejet, la projection, etc.

Cela EST. Et la compréhension adéquate, juste, du Réel, s’accompagne de la sérénité et de la joie.

Comme tu ne peux rien faire, tu n’es pas responsable, donc pas coupable.

Se laisser submerger par les passions tristes crée mécaniquement un deuxième mal, lui évitable !, qui s’ajoute au premier mal, inévitable. À ce moment, si tu t’efforces d’agir pour atteindre l’impossible, pour tenter d’éviter un mal inévitable, ou pour déplorer ton impuissance et te lamenter de ton sort, tu augmentes ta tristesse et diminue ta joie, tu diminues ta puissance d’agir. Tu crées toi-même un mal évitable supplémentaire.

Le principe d’engagement dans la lutte contre le Mal implique donc que tu lutte contre ce deuxième mal, lui parfaitement évitable.

Comme tous les phénomènes dans l’Univers, le Mal évitable ou inévitable est impermanent. Il naît et meurt. Il apparaît et disparait sans cesse. Il augmente et diminue. Il semble absent ou récurrent pendant de courtes ou de longues périodes.

Que faire contre le Mal inévitable ? Le contempler tel un nuage noir qui traverse le ciel. Accepter son existence.

Que faire contre la souffrance inévitable qui accompagne le Mal inévitable ? La contempler telle un nuage noir qui traverse le ciel. Accepter son existence.

Que faire contre la souffrance évitable qui accompagne le Mal inévitable ? La contempler telle un nuage noir qui traverse le ciel. Ne pas y succomber. Ne pas la laisser exister autrement que comme un phénomène émergent qui se dissipe très rapidement.

Que faire contre le Mal inévitable ? Méditer. Rien.

Que faire contre le Mal évitable ? Méditer et agir dans la mesure de ses moyens.

Enfin, dans tous les cas, rester digne, bon, et continuer à vivre dans la joie, avec panache !
Continuer à exister, contempler l’existence, créer, aimer et s’engager.

Il se pourrait bien que cette souffrance inévitable face au Mal inévitable, que nous partageons toutes et tous, soit in fine le fondement de ce qui fait l’Humanité dans son unité et sa diversité, et de ce qui nous lie sororalement/fraternellement entre humains et non humains sensibles.

Bientôt, tout ce qui était lié sera séparé, le Mal gagne toujours à la fin. Mais rien n’empêche d’y résister autant qu’on peut, le temps d’un instant.


Le Portement de Croix, peinture de Raphaël, 1516-1517 env.

Le Portement de Croix (Raphaël) — Wikipédia (wikipedia.org)

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