Comme l’honneur, l’héroïsme ou la vertu, le panache fait partie de ces mots que les dictionnaires pourraient décrire comme « ancien » ou « vieilli ». Peu de mots me semblent pourtant si actuels, si urgents, si nécessaires.

Un panache, ou cimier, de plumes ou de crins ornait souvent les casques des Anciens, les heaumes de la chevalerie et le couvre-chefs des soldats et personnages officiels, jusqu’au début du XXe siècle. Il servait à agrandir la silhouette, pour impressionner l’ennemi et le peuple, mais aussi à distinguer les soldats et les individus selon leur rang et partant, servait de point de repère sur le champ de bataille ou dans l’espace public. Les soldats du temps jadis ne se camouflaient pas, ils pavoisaient parés de tons vifs et une armée était parfois visible à des lieues à la ronde. Les personnages officiels d’aujourd’hui s’habillent très sobrement, ils étaient autrefois hauts en couleur.

Par analogie, on parle de la « queue en panache » d’un animal, comme celle de l’écureuil. On fit parfois le lien entre le panache d’un animal et la même attitude. « Quo non ascendet ? », jusqu’où ne montera-t-il pas ?, était la devise de Nicolas Fouquet, qui accompagnait son blason orné d’un écureuil.

Le panache revêt toujours une dimension esthétique. L’expression « avoir du panache » s’applique également à une personne qui fait fièrement montre d’élégance, de style.

D’un sens propre on a donc tiré un sens figuré : le panache est une vertu à la fois éthique et esthétique d’affirmation face à la société et en particulier face à l’adversité. Achille voulait mourir avec panache, ainsi que les autres Grecs et les Romains. La noblesse a longtemps nourri un esprit chevaleresque. Dans Le Cid, Pierre Corneille fait dire au comte : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Mais le panache a aussi une dimension dérisoire face à la cruauté du Réel. Dans le premier roman moderne de l’histoire, Miguel de Cervantes dessine un Don Quichotte généreux et idéaliste, qui charge des moulins à vent.

Le président américain Théodore Roosevelt a décrit de façon mémorable le panache de « l’homme dans l’arène », la femme ou l’homme d’action qui peut échouer ou réussir mais qui ose, dans son discours « Citoyens de la République », prononcé à la Sorbonne à Paris, le 23 avril 1910.

« Ce n’est pas le critique qui compte, celui qui montre du doigt l’homme qui a trébuché ou qui explique comment on aurait pu mieux faire. Tout le mérite revient à celui qui descend vraiment dans l’arène, dont le visage est couvert de sueur, de poussière et de sang, qui lutte vaillamment, qui se trompe, qui échoue encore et encore – car il n’y a pas d’effort sans échec – mais qui fait son maximum pour progresser, qui connaît de grands enthousiasmes, qui se consacre à une noble cause, qui au mieux connaîtra in fine le triomphe de l’accomplissement et qui, au pire, s’il échoue, aura osé avec audace, et saura que sa place n’a jamais été parmi les âmes froides et timorées qui ne connaissent ni la victoire ni l’échec ».

Le panache est donc aussi une expression de la finitude de la condition humaine. Il est aveu d’impuissance mais affirmation de dignité. Le panache verticalise une horizontalité. Contraint par le fini, il s’échappe malgré tout vers l’infini. Conclu par la mort, il suspend un instant l’immortalité. Il proclame « j’existe, je lutte contre l’adversité, je chute mais je me relève car j’aspire à la grandeur. Et si ma chute est définitive, la mémoire des humains, mes frères et soeurs, me relèvera. »

Ainsi en sport, on dit qu’on « perd avec panache » quand, malgré un adversaire supérieur, on oppose une résistance farouche qui attire l’admiration du public.

Le panache comprend la Joie. Il peut être espiègle comme l’écureuil, comme le légendaire Thyl Ulenspiegel. Et il est asymétrique. L’individu qui se dresse contre des forces qui le dépassent fait preuve de panache. Nous aimons universellement David contre Goliath, Frodon contre Sauron, Luke Skywalker contre Dark Vador et tous les héros qui affrontent des forces maléfiques largement supérieures. Nous aimons les héros sans espoir des causes belles et justes.

Le panache peut être silencieux, humble, anonyme comme les résistants qui mourraient sans un cri durant la Seconde Guerre mondiale. Panache encore, quand Rosa Parks s’assied silencieusement à une place interdite aux Blancs dans un bus. Il peut aussi être sonore, plein de faconde et exubérant comme Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Il y a du panache dans la satire, surtout quand elle s’exerce sous le joug de la tyrannie ou du dogmatisme, par exemple dans l’Eloge de la Folie d’Erasme.

Le panache n’a pas d’âge. Dans les Habits neufs de l’empereur de Hans Christian Andersen, seul un petit garçon ose dire la vérité que tous font semblant d’ignorer. Beaucoup de jeunes femmes incarnent le panache de notre époque, comme Greta Thunberg, Anuna De Wever ou Adélaïde Charlier. Les activistes, idéalistes et utopistes, sont souvent de jeunes gens qui affrontent toutes les forces conservatrices de la société, la presse, la police, la justice, parfois la prison, parfois la torture, parfois la mort. Il arrive que certains conservent jusqu’au soir de leur vie cette magnifique ardeur de la jeunesse révoltée, comme le résistant, diplomate et écrivain Stéphane Hessel quand il lança son fameux « indignez-vous ! ». Plus tard, une présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, reste digne quand un chef d’Etat la laisse sans fauteuil. Plus tard, un humoriste et acteur de cinéma, Volodymyr Zelenski devient à 44 ans le héros inattendu de la démocratie et le nouveau père de la nation ukrainienne, baptisé par le panache de son courage face à la puissance nucléaire qui assaille son peuple.

Le panache est peut-être l’attitude philosophique par excellence. Il est la citadelle intérieure de Marc-Aurèle, il est le courage de dire vrai, la parrhèsia de Michel Foucault. Il est Socrate face au tyran Denis de Syracuse puis face à ses juges. Il est l’Antigone d’Anouilh face à Créon. Le franc-tireur, la franchise, la liberté de parole, l’impertinence créatrice, sont des manifestations de panache. La démocratie l’exige de ses citoyens. Peu en sont à la hauteur. Il est urgent de l’actualiser.

Il y a dans le panache quelque élégance. Le panache est marque d’existence, de vérité, de bien et de beauté. Le panache fait gagner l’être et la vie quand il esthétise, poétise la défaite, l’impuissance, la mort et la finitude. Le panache est existentialiste. Quand il titre son essai « L’homme révolté », Albert Camus nous parle du panache de l’existence, qui consiste à se révolter, comme Sisyphe poussant chaque jour son rocher, en sachant très bien qu’il retombera. « Je me révolte donc nous sommes » affirme l’écrivain philosophe.

Friedrich Nietzsche, peut-être le plus grand philosophe du panache, nous mettait en garde contre ce qu’il appelait le « dernier homme ».

« Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance. Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer ! Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Voici ! Je vous montre le dernier homme. »

Ce qu’il y aurait de pire peut-être, dans la perspective de l’extinction humaine, inéluctable à terme lointain, serait qu’elle se produise prématurément, idiotement, sans conscience, sans révolte, sans lutte, sans gloire, bref, sans panache. Cela, nous les révoltés, nous ne l’accepterons jamais !

On peut vivre en rampant mais pour exister, nous avons besoin de nous tenir debout avec panache. Face à l’Ecocide, nous les révoltés, en avons plus que jamais besoin. Face à la Mort ultime, le panache nous humanise, il est pulsion de vie, il est Eros contre Thanatos. L’Humanité sera panache ou ne sera plus.

« N’entre pas docilement dans cette douce nuit,
Le vieil âge doit gronder, tempêter, au déclin du jour,
Hurler, hurler à l’agonie de la lumière,

Si le sage sentant la fin sait que les ténèbres sont justes,
Car ses mots n’ont point forgé de foudre,
Il n’entre pas docilement dans cette douce nuit,
Hurle, hurle à l’agonie de la lumière. »


Dylan Thomas (poème cité dans Interstellar, film de Christopher Nolan)






Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *