Mort


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Coucher de soleil sur la Vallée de la Mort, Désert des Mojaves, Californie.


La Mort est un phénomène existentiel central, si pas le phénomène central de l’Existence. A un très jeune âge, l’enfant découvre que les êtres vivants appartiennent à une catégorie unique au sein du Réel, la catégorie des entités vivantes, c’est-à-dire qui naissent, qui se transforment, qui se reproduisent et qui meurent. Il découvre que l’espèce humaine est une instance du vivant et que lui-même est un individu vivant au sein de l’espèce humaine, qui un jour va mourir et verra la matière de son propre corps se disperser. Il comprend qu’il partage avec les animaux et les plantes, dont il voient certains mourir et morts, cette caractéristique d’être vivant.

Le phénomène de la Vie produit des entités bien distinctes du monde dit « inerte ». Ces entités se caractérisent par leur métabolisme, l’entretien de ce métabolisme et leur capacité à se reproduire et à se répandre dans un milieu de manière autonome. Le monde dit « inerte » est lui aussi parcouru de processus dynamiques parfois très proches de phénomènes vivants – le vent, les marées, l’orage, les volcans, etc. – mais la Vie reste un phénomène radicalement différent en raison de cette autonomie.

La Mort est l’instance même de la Finitude de l’existence humaine, sa Limite. Bien que certaines spiritualités prétendent que l’existence précède la naissance et se poursuit après la mort, sous une forme ou l’autre, personne n’a jamais pu en apporter la preuve scientifique. Même si certaines de ces hypothèses se révèleraient exactes, la distinction de la période qui s’étend de la conception à la mort comme étant « l’existence humaine » continuerait à être valable pour une éthique de l’existence.

La Mort est aussi l’instance suprême de l’Absurde. Si nous allons de toute façon mourir, à quoi bon perdre son temps à exister ? Comment une existence conclue par la mort pourrait-elle avoir un sens ?

La Mort est aussi l’instance suprême du Tragique. Que penser de la mort d’un nourrisson, d’un innocent, d’une personne extraordinaire ? Quand vivent et meurent dans leur lit les pires crapules.

La Mort est également une instance majeure du Mystère. Personne ne sait ce qu’il y a après la mort. Peut-être rien. Il est vraisemblable que nous ne le saurons jamais.

La Mort est aussi, si l’on accepte de la contempler d’un œil neuf, une instance esthétique, un élément qui contribue à la Poésie de l’Existence. Elle touche au « sublime » tel que défini par Kant, c’est-à-dire un phénomène qui nous dépasse, inexprimable, inconcevable. Et tel quel, rempli de beauté.

Tout ce qui vit est appelé à mourir. La Mort elle-même semble nécessaire à la Vie, au métabolisme général de la Biosphère.

La Mort nous fait peur. La peur de la Mort semble également nécessaire à la préservation de la Vie. Un enfant qui n’a pas peur de mourir, au delà d’un certain âge, est un enfant en danger de mort. Une juste perception des risques de mort est nécessaire pour mener une vie longue et satisfaisante. Mais la terreur de la mort nous paralyse et nous empêche d’expérimenter le bonheur l’instant présent. Pour bien vivre, on ne doit pas oublier qu’on peut mourir ; mais pour bien vivre, on doit savoir malgré tout oublier la mort.

Les Humains fantasment au sujet de l’Immortalité depuis toujours. La civilisation égyptienne semblait entièrement construite auteur du fantasme de l’immortalité. Pourtant de nombreux auteurs ont montré que l’Immortalité était peut-être une tragédie existentielle. Que la Mort serait en réalité la clef du sens de l’Existence. Aussi indispensable à la Vie qu’à l’Existence.

Nous ignorons si la Vie peuple d’autres planètes dans l’Univers. Nous savons que la Vie sur Terre aura une fin. Lorsque l’évolution du Soleil sera telle que toute vie sur Terre sera anéantie. Si la Vie existe ailleurs dans l’Univers, la fin de la Biosphère terrestre ne signifiera pas la fin de la Vie dans l’Univers. Autrement, la Mort de la Biosphère sera la Mort de la Vie dans son entièreté.

Avant même la Mort de la Vie sur Terre, c’est la Mort de l’Humanité qui préoccupe de plus en plus de gens depuis le XXe siècle. Un des constats de la philosophie au XXe siècle, notamment suite à la course aux armements nucléaires, est que l’Humanité dispose désormais des moyens techniques de se suicider. L’Ecocide peut-être également compris comme une forme de suicide de l’Humanité par elle-même.

Enfin, au niveau individuel, la Mort peut être subie ou choisie. Naturelle, par accident, par maladie, ou bien conséquence d’un suicide ou d’un sacrifice. Le Suicide est le choix prématuré de la Mort.

En termes anthropologiques, les rites funéraires sont un des rites les plus anciens, qui apparaissent déjà au sein des espèces ancêtres de l’homo sapiens. Il se peut que l’Humain apparaisse au moment où il commence à enterrer ses morts, prenant par là conscience de sa finitude, de son caractère mortel, au contraire peut-être de toutes les autres espèces vivantes.

D’un point de vue existentiel, notre propre mort nous scandalise. Je n’ai pas choisi d’être conçu, de naître, d’être jeté dans la vie, dans l’Existence. Et je dois maintenant subir une autre mauvaise nouvelle, celle de ma propre mort, certaine, inéluctable, tôt ou tard.

La Souffrance accompagne la Mort, avant, pendant et après. L’angoisse, la vieillesse, la maladie, l’accident, la souffrance de mourir elle-même, la souffrance de ceux qui restent.

Notre société déteste la Mort. Elle veut l’anéantir, la supprimer. Les découvertes scientifiques les plus récentes font croire à certains qu’on pourrait « soigner la mort ». Les Transhumanistes ont pour un de leur principaux objectifs de dépasser la mort et d’atteindre une forme d’immortalité pour les individus de l’espèce humaine.

La Mort fait incontestablement partie de ces deuils existentiels pour l’Humanité. Nous sommes mortels, Dieu n’existerait pas, nous ne sommes qu’un singe évolué, la Terre n’est pas au centre de l’Univers. Et peut-être que nous découvrirons bientôt qu’il y a d’autres planètes où règne la vie, et que nous ne sommes peut-être pas les seuls êtres intelligents dans l’Univers, et même que certaines espèces nous dépassent largement en intelligence.
Il se peut également que l’homo sapiens soit dépassé par une espèce descendante, un jour ou l’autre, à la faveur de catastrophes écologiques d’envergure.

Un jour, l’auteur de ces lignes sera lui-même mort.


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