La Métamorphose (vs la transition écologique et la révolution)





Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre ou alors il est capable de susciter un méta-système à même de traiter ses problèmes : il se métamorphose. Le système Terre est incapable de s’organiser pour traiter ses problèmes vitaux : périls nucléaires qui s’aggravent avec la dissémination et peut-être la privatisation de l’arme atomique ; dégradation de la biosphère ; économie mondiale sans vraie régulation ; retour des famines ; conflits ethno-politico-religieux tendant à se développer en guerres de civilisation.

L’amplification et l’accélération de tous ces processus peuvent être considérées comme le déchaînement d’un formidable feed-back négatif, processus par lequel se désintègre irrémédiablement un système.

Le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose. Qu’est-ce qu’une métamorphose ? Nous en voyons d’innombrables exemples dans le règne animal. La chenille qui s’enferme dans une chrysalide commence alors un processus à la fois d’autodestruction et d’autoreconstruction, selon une organisation et une forme de papillon, autre que la chenille, tout en demeurant le même. La naissance de la vie peut être conçue comme la métamorphose d’une organisation physico-chimique, qui, arrivée à un point de saturation, a créé la méta-organisation vivante, laquelle, tout en comportant les mêmes constituants physico-chimiques, a produit des qualités nouvelles.

[…]

L’idée de métamorphose, plus riche que l’idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, de l’héritage des cultures). Pour aller vers la métamorphose, comment changer de voie ? Mais s’il semble possible d’en corriger certains maux, il est impossible de même freiner le déferlement techno-scientifico-économico-civilisationnel qui conduit la planète aux désastres. Et pourtant l’Histoire humaine a souvent changé de voie. Tout commence, toujours, par une innovation, un nouveau message déviant, marginal, modeste, souvent invisible aux contemporains. […] Aujourd’hui, tout est à repenser. Tout est à recommencer.

[…]

Tout en fait a recommencé, mais sans qu’on le sache. Nous en sommes au stade de commencements, modestes, invisibles, marginaux, dispersés. Car il existe déjà, sur tous les continents, un bouillonnement créatif, une multitude d’initiatives locales, dans le sens de la régénération économique, ou sociale, ou politique, ou cognitive, ou éducationnelle, ou éthique, ou de la réforme de vie.

Ces initiatives ne se connaissent pas les unes les autres, nulle administration ne les dénombre, nul parti n’en prend connaissance. Mais elles sont le vivier du futur. Il s’agit de les reconnaître, de les recenser, de les collationner, de les répertorier, et de les conjuguer en une pluralité de chemins réformateurs. Ce sont ces voies multiples qui pourront, en se développant conjointement, se conjuguer pour former la voie nouvelle, laquelle nous mènerait vers l’encore invisible et inconcevable métamorphose. Pour élaborer les voies qui se rejoindront dans la Voie, il nous faut nous dégager d’alternatives bornées, auxquelles nous contraint le monde de connaissance et de pensée hégémoniques. Ainsi il faut à la fois mondialiser et démondialiser, croître et décroître, développer et envelopper.

Edgar Morin, Éloge de la métamorphose, Le Monde, 9 janvier 2010.


Métamorphose : du latin metamorphōsis, du grec ancien μεταμόρφωσις, metamórphōsis (« transformation »), dérivé de μεταμορφοῦν, metamorphoûn (« transformer »), lui-même de μετά, metá (« après ») et de μορφή, morphḗ (« forme »).

  • Transformation, changement d’une forme en une autre
  • (En particulier) (Antiquité) Changement de cette nature opérés par les dieux dans la mythologie grecque et latine.
  • (Zoologie) Changement de forme qu’on observe dans le plus grand nombre des insectes et dans quelques autres animaux, tels que les grenouilles.
  • (Par extension) Changement extérieur d’une personne.
  • (Sens figuré) Changement extraordinaire dans le caractère d’une personne.
métamorphose — Wiktionnaire, le dictionnaire libre (wiktionary.org)


La Métamorphose grand M est le changement qui est nécessaire, possible et souhaitable pour assurer la soutenabilité de la Vie et de l’Humanité sur la Terre. La Métamorphose est donc l’inverse de l’Écocide, qui signifie la destruction des conditions de vie sur Terre.

Comme l’Écocide, la Métamorphose est un phénomène et en particulier un processus. La Métamorphose et l’Écocide sont en réalité deux métaphénomènes, de par leur caractère total pour ce qui est de la Vie, de l’Humanité, de l’Existence.

En termes systémiques, c’est un changement de régime, du régime écocidaire vers le régime soutenable. Le système combiné Anthropobiosphère fonctionne depuis plusieurs siècles selon un régime d’Écocide, c’est-à-dire que son régime de fonctionnement a pour effet la destruction des conditions de vie terrestres. Ce régime de fonctionnement, s’il ne cesse pas, conduit nécessairement à l’extinction de l’Humanité et d’une bonne partie de la Vie sur Terre.

La Métamorphose peut être efficace et éthique, c’est-à-dire atteindre l’objectif de la soutenabilité tout en préservant la liberté, la démocratie, la justice, tout ce à quoi nous tenons. Il est évidemment souhaitable qu’elle le soit.

Métamorphose vs transition écologique/énergétique


Il ne faut pas confondre la Métamorphose et la transition écologique, ni la transition écologique et la transition énergétique. Ces concepts se distinguent au moins à deux niveaux essentiels : leur périmètre et leur radicalité.

En termes de périmètre, la transition énergétique ne concerne que le changement du système énergétique, de l’insoutenabilité à la soutenabilité. La transition écologique élargit quant à elle la transition à l’ensemble du système économique : l’énergie mais aussi l’alimentation, le logement, la mobilité, l’industrie, l’enseignement, la santé, les loisirs, etc. La Métamorphose va encore plus loin car elle exige un changement non seulement matériel du système économique mais aussi anthropologique, culturel et civilisationnel de toute l’Humanité. La Métamorphose comprend la transition écologique qui comprend la transition énergétique.

La Métamorphose diffère également de la transition écologique et de la transition énergétique en termes de radicalité. Le mot « radical » signifie étymologiquement « à la racine ». Une pensée « radicale » est en ce sens une pensée qui remonte « à la racine » des questions, des problèmes, des enjeux. Cela consiste à refuser de se contenter d’examiner les épiphénomènes, c’est-à-dire les phénomènes superficiels, le sommet de l’iceberg, alors que les réelles explications et solutions à rechercher se trouvent cachées en profondeur, au niveaux des phénomènes fondamentaux, sous le niveau de la mer. Une pensée radicale se donne pour mission de remonter aux causes et aux phénomènes fondamentaux, en vue de proposer des voies de dépassement robustes aux crises que nous connaissons. Si la transition écologique peut apparaître comme un changement profond, il se fonde en général sur une logique gradualiste (lentement, pas à pas) et réformiste (via la modification progressive apportée au système existant au travers des institutions existantes). La Métamorphose est beaucoup plus radicale en termes de de vitesse et de profondeur. Elle prône non le lent pas à pas mais un changement fondamental rapide. Elle prône non la réforme progressive dans les institutions existantes mais la rupture de continuum par des changements de portée révolutionnaire. Elle se fonde sur le constat que ni la transition énergétique ni la transition écologique, à cause de leur lenteur, de leur caractère progressif et continu, ne suffiront à assurer la permanence d’une vie authentiquement humaine et non humaine sur Terre, face à l’Urgence.

Ainsi, il ne suffit pas que la chenille modifie sa bouche, son estomac et le reste de son système digestif (transition énergétique), ni même qu’elle se transforme complètement en une autre chenille (transition écologique). Non, la chenille va devoir devenir papillon. Sa chenille-logie devra se transformer en papillon-logie (nouvelle anthropologie). Sa culture de la marche devra se transformer en culture du vol. D’une civilisation qui rampe sur les feuilles d’arbre pour les manger elle devra passer à une civilisation qui vole par dessus les prés pour butiner les fleurs.

Métamorphose vs révolution


La Métamorphose se différencie aussi de la révolution. Comme l’explique le philosophe Edgar Morin : « L’idée de métamorphose, plus riche que l’idée de révolution, en garde la radicalité transformatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, de l’héritage des cultures). » A nouveau, la Métamorphose se différencie en termes de périmètre et de radicalité, mais aussi de dynamique.

Au niveau du périmètre, la révolution tend à se concentrer sur le renversement du pouvoir en place au sein de l’État, au besoin par des moyens violents, afin de s’emparer de ce pouvoir et donc du gouvernement de l’État, en vue de mettre en œuvre une autre politique et parfois de modifier la structure elle-même de cet État. Au niveau de la radicalité, la révolution n’a pas nécessairement pour objectif une transformation anthropologique, culturelle et civilisationnelle de l’Humanité. Ainsi la plupart des révolutions ont pour objectif le renversement et le remplacement du pouvoir par un autre. En outre, si certaines révolutions ont pu afficher un objectif anthropologique, culturel et/ou civilisationnel -comme les révolutions socialistes et communistes- , ou religieux -comme les révolutions dans le monde islamique-, pratiquement aucune d’entre elle ne voulait remettre en question le développement des forces productives au sens le plus classique (productivisme, croissance économique, etc.). Enfin, en termes de dynamique, la révolution tend à proposer une rupture de continuité de type tabula rasa, c’est-à-dire l’éradication totale (violente si nécessaire) de l’ancien monde au profit de la construction d’un monde totalement nouveau à partir de zéro.

La Métamorphose a donc un périmètre plus étendu, une radicalité plus profonde que la révolution et, contrairement à elle, effectue la rupture de continuum sans tabula rasa. A aucun moment, même un grand soir, le papillon ne supprime la chenille pour prendre sa place. Le changement s’opère dans la continuité ET la rupture, sans discontinuité.

La nécessité de la Métamorphose


Certains courants de pensée estiment que la transition énergétique serait suffisante pour assurer la soutenabilité. C’est notamment le cas du courant écomoderniste. Ce raisonnement ne tient pas face aux travaux scientifiques qui démontrent empiriquement que la transgression des limites planétaires n’est pas seulement due au fonctionnement du système énergétique stricto sensu mais aussi à celui d’autres systèmes comme l’alimentation, le logement, la mobilité, etc., et ceci, indépendamment de l’énergie qui les anime. C’est-à-dire que les autres systèmes, même s’ils étaient animés par une énergie renouvelable après une transition énergétique, resteraient insoutenables à cause de leur fonctionnement général. D’un point de vue théorique également, l’obtention d’une énergie propre infinie, même si cela était possible, n’empêche aucunement en principe de continuer à détruire des écosystèmes, d’exterminer des espèces, d’artificialiser des sols, d’utiliser les ressources naturelles de manière insoutenable (air, eau, sols, écosystèmes, matières premières, etc.).

Si toute l’économie mondiale était alimentée par des énergies renouvelables, elle continuerait à générer le phénomène de l’Écocide. Autrement dit, on peut raser la forêt amazonienne avec des bulldozers électriques propres alimentés par la fusion nucléaire.

Il est donc possible de démontrer que la transition énergétique (l’obtention d’une énergie soutenable et abondante) est insuffisante pour résoudre le problème de l’Écocide. Pire, dans une civilisation illimitiste, l’obtention d’une énergie illimitée ne peut conduire qu’à une accélération du même régime écocidaire.

De la même manière, selon le raisonnement de la Métamorphose, la transition écologique est insuffisante. Premièrement, pour des raisons sociologiques, il est jugé impossible d’envisager la transition de tous les systèmes au sein de l’économie sans modifier profondément l’Humanité au niveau anthropologique, culturel et civilisationnel. Seule une Humanité qui aura profondément revu sa métaphysique, son éthique, son esthétique et sa politique, ses valeurs et ses rapports au reste du vivant et à elle-même, serait en mesure de se redéployer d’une manière soutenable. Deuxièmement, la logique dominante de la transition écologique est celle d’un gradualisme réformiste qui ne remet pas en question l’illimitisme, le capitalisme et le néolibéralisme, et tous les -ismes qui y sont liés. Or ces phénomènes sont à la source de l’Écocide, et nous sommes face à l’Urgence. Troisièmement, la logique dominante de la transition écologique est techno-optimiste. Elle considère que la mise en œuvre de solutions techniques suffira à résoudre l’Écocide, ce qui n’est pas validé empiriquement ni théoriquement.

La possibilité de la Métamorphose


Certains aujourd’hui remettent en question la possibilité d’une transition énergétique de la société thermo-industrielle, c’est-à-dire la simple substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables, en conservant intact le régime général de notre système économique.

Cela signifie-t-il qu’aucune transition énergétique sociétale n’est possible ? Je ne le pense pas. Par contre, je suis d’accord qu’aucune transition énergétique de la société thermo-industrielle vers la soutenabilité n’est possible. Autrement dit, je crois que nous devons sortir de la société thermo-industrielle pour atteindre la soutenabilité.

Un questionnement analogue existe par rapport à la transition écologique.

Dans ce texte, nous avons défini la Métamorphose comme possible, par construction. Donc la Métamorphose dont nous parlons est le changement vers la soutenabilité compatible avec les lois biophysiques et les contraintes du changement social et humain.

Cependant, nous devons mentionner la thèse de l’extrême pessimisme selon laquelle, pour différentes raisons, même la Métamorphose serait impossible. Nous avons par exemple déjà évoqué la thèse du déterminisme. Si ce déterminisme est si puissant qu’il retire, au temps t, toute possibilité de modification de la trajectoire à l’Humanité, alors la Métamorphose est impossible. De la même manière, si l’effet de la Reine verte est si puissant qu’il détruit toute déviation par rapport à la logique de puissance maximale, alors la Métamorphose est impossible. Enfin, il se pourrait que la seule société humaine soutenable sur Terre soit celle formée par des chasseurs-cueilleurs pour une population mondiale totale bien inférieure à la nôtre, à cause des limites biophysiques du fonctionnement des sociétés. Dans ce cas, il n’existe pas de Métamorphose au sens où nous l’entendons, qui conserve les populations humaines vivantes sans perte sévère et brutale de vies, et qui conserve un niveau de vie technologique supérieur à celui des chasseurs-cueilleurs. La question se pose alors de quelle est la population maximale au niveau de vie technologique satisfaisant pour laquelle la soutenabilité est atteignable ?

La souhaitabilité de la Métamorphose


Face à l’Écocide, le changement de régime systémique ne peut être que souhaitable, par logique élémentaire. La seule transition énergétique pourrait déjà apparaître comme souhaitable. Mais nous avons vu que s’il s’agit de perpétuer une société thermo-industrielle écocidaire, le problème reste entier. On peut dire la même chose pour la transition écologique. Il faut donc souhaiter autre chose et davantage pour opérer un changement suffisant pour éviter l’Écocide. La Métamorphose, selon ce raisonnement, est donc le seul niveau de changement souhaitable pour se hisser à la hauteur de l’Urgence.

Par ailleurs, la Métamorphose n’est pas seulement souhaitable parce qu’elle nous permet d’éviter le pire. Elle est également éminemment souhaitable parce qu’elle nous permet d’envisager non pas le meilleur, mais bien mieux que l’existence que nous avons aujourd’hui -une existence écocidaire dans une société écocidaire, souvent aliénée, souvent malheureuse, et déjà douloureuse et mortelle pour de plus en plus d’êtres vivants sur notre planète.

Dans ce blog, nous utiliserons donc l’expression de la Métamorphose, dans la perspective développée par le philosophe Edgar Morin, pour exprimer la voie nécessaire, possible et souhaitable pour la poursuite de l’aventure de la Vie et de l’Humanité sur la Terre.


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