Qu’est-ce qu’une vie réussie ?





« Tout ce que nous avons à décider, c’est ce que nous faisons du temps qui nous est imparti. »

Gandalf à Frodon, dans le film Le Seigneur des Anneaux I – La Communauté de l’Anneau


Nous sommes jetés involontairement dans l’Existence par la naissance. Et en très peu de temps, nous découvrons le Réel qui résiste, l’Univers, la Terre, la Vie, l’Humanité, l’Autre et leurs lois respectives, mises au jour par la Science et la Philosophie, c’est-à-dire les limites, ni bonnes ni mauvaises, indifférentes à nous, de l’Existence. Nous savons que dans la vie, tout n’est pas possible.

En simultanément aux limites que nous ne pouvons transgresser, nous découvrons progressivement tous les « mauvais côtés » de l’Existence : la Souffrance, la Mort, le Tragique, l’Absurde, le Mal. Et malgré l’Impermanence qui pourrait nous en donner l’espoir, nous comprenons que nous ne pourrons jamais mettre fin à ces phénomènes désagréables. Notre puissance d’agir est limitée ; certaines choses, nous ne pourrons jamais les changer. Nous savons que la vie peut être horrible.

Bien sûr, nous découvrons également les « bons côtés » de l’Existence : la Vie, le Bien, la Vérité et la Beauté, la Sagesse. Nous éprouvons la Joie d’exister avec la Méditation, l’Amour, l’Amitié et la Philia, les Arts, la Science, les loisirs, le sport, les voyages, etc., c’est-à-dire tout ce qui nous permet d’exister, de contempler l’existence, de créer et d’aimer. Nous savons que la vie peut être belle.

Nous comprenons que nous sommes dotés d’une puissance d’agir individuelle et collective, qui nous permet de survivre, de vivre et de donner du sens à l’Existence. Cette même puissance d’agir nous rend également responsables de nous engager face au Mal, afin de le minimiser. Nous savons que nous avons un libre-arbitre et que nous pouvons agir.

Ainsi, avec la maturité, nous parvenons peu à peu à un aperçu exhaustif des différents paramètres et des différentes variables de l’Existence, telle qu’elle est, avec ses mauvais et ses bons côtés, ainsi que ses côtés neutres. Nous parvenons peu à peu à délimiter le champ du possible et de l’impossible, du nécessaire et du contingent, du souhaitable et du détestable. C’est un peu le regard de l’adulte, qui rejoint celui du vieillard, que plus rien ne pourra surprendre car il a vu en imagination tout ce qui pouvait se produire dans la vie. Après nous être piqués aux orties et avoir goûté au chocolat, nous connaissons désormais les « règles du grand jeu de la vie ».

Parvenus à ce point de maturité, nous pouvons choisir, en âme et conscience, de continuer à participer au jeu de l’Existence. Ou pas. C’est pourquoi l’écrivain existentialiste Albert Camus introduit Le mythe de Sisyphe par ces mots fameux : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. » Comme l’Existence préconditionne tous les autres biens, le choix de ne pas se suicider, le choix de continuer à exister soi-même, préconditionne la poursuite et le contenu de l’existence individuelle. Comme notre corps est conçu de telle manière à avoir pour mode automatique de vivre, cesser de jouer le jeu de la vie implique un acte délibéré, le suicide.

Même si les termes ne sont pas totalement transposables, un groupe d’individus peut également se suicider, au propre ou au figuré, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment. Et par extension, l’Humanité, en tant que groupe réunissant tous les Humains vivants, morts ou à venir, le peut aussi -et nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’elle est exactement en train de faire cela, en commettant l’Écocide planétaire.

Certains se suicident donc. Pour diverses raisons. Notons immédiatement qu’il s’agit d’une infime minorité, ce qui est remarquable étant donné tous les « mauvais côtés » de l’Existence que nous avons mis en lumière. Ainsi le Bouddha, Jésus et le philosophe pessimiste Arthur Schopenhauer notent très lucidement la souffrance inhérente à la condition humaine. Les « bons côtés » surpassent-ils malgré tout les « mauvais côtés » ? C’est loin d’être évident…

Doit-on en déduire que l’immense majorité aime passionnément la vie et choisit alors d’exister en âme et conscience ? Non ! Nous sommes manifestement trop nombreux à ne pas choisir, à rester dans l’inertie de la vie, à rester dans l’illusion quant à notre Liberté de nous suicider ou pas -donc de choisir la Mort ou la Vie-, d’exister pleinement ou pas -donc de choisir l’Existence. Bref, nous sommes trop nombreux à survivre, parfois à vivre, mais à ne pas choisir d’exister véritablement. Et nous promenons ainsi notre carcasse du berceau à la tombe, sans avoir vraiment pris notre destin en main une seule seconde. Une existence médiocre, sans partir en quête de sens, sans s’emparer de notre Liberté, sans nous départir de notre mauvaise foi, et qui se termine sur un malentendu. Mais soit, c’est effectivement en ne se suicidant pas que l’immense majorité des gens juge, même indirectement, même mollement, que la vie vaut la peine d’être vécue.

Certains, à ce stade, finissent par ne plus supporter l’Existence. Ils découvrent un Ennui d’une ampleur existentielle. À nouveau ce regard du vieillard que plus rien ne peut surprendre mais un regard éteint, morne, sans plus aucune flamme, sans plus aucun désir.

Mais ni le suicide, ni la médiocrité, ni l’ennui ne sont une fatalité ! Comme l’a montré le philosophe Friedrich Nietzsche, l’absence de finalité donnée dans l’Existence implique que nous devons créer notre propre sens et nos propres valeurs, en embrassant pleinement la vie ! Au fond, nous dit Nietzsche, ne nous contentons pas de survivre et de vivre médiocrement. Choisissons d’exister pleinement en exprimant sans retenue notre désir, notre liberté, notre créativité, notre joie, bref, notre volonté de puissance !

N’en déplaise à Nietzsche qui les a vertement critiqués, d’innombrables philosophes ont réfléchi à un contenu normatif universel pour les finalités de l’Existence, et leurs pensées peuvent nous inspirer, comme une boîte de pinceaux et de couleurs peut inspirer le peintre qui s’apprête à peindre le tableau de sa vie.

Ainsi, certains d’entre nous choisissent consciemment de continuer à vivre et se promettent d’exister au sens le plus fort du terme. Ils choisissent d’exister, de contempler l’existence, d’aimer, de créer et de s’engager. Ils refusent le suicide, la médiocrité et l’ennui. En vivant, d’une certaine manière, nous jugeons que la vie vaut la peine d’être vécue. Mais quelle vie vaut la peine d’être vécue ?, c’est là une autre question.

Parvenu au sommet de cette montagne, notre regard parcours l’étendue de l’Existence, de l’Univers, de la Vie, de l’Humanité, le passé, le présent et le futur, l’ici et l’ailleurs, le Soi et l’Autre. Nous nous sentons vivants, nous savons la souffrance, nous savons la mort, nous savons la finitude et le mal, et malgré tout cela, nous acceptons notre condition et notre fatalité. Nous voyons sous nos pieds le début d’une vallée, avec des vergers pleins de fruits savoureux mais aussi avec des gouffres dangereux. Et nous savons que la vallée se termine en cul de sac.

Mais c’est une très belle vallée et d’autres que nous l’ont parcourue et la parcourent encore. Et d’autres encore la parcourront après nous. Et nous avons envie de la parcourir. Car il y a la Vie, le Bien, la Vérité, la Beauté, la Sagesse. Car il y a la Joie d’exister avec la Méditation, l’Amour, l’Amitié et la Philia, les Arts, la Science, les loisirs, le sport, les voyages, etc. Et cela, nous le désirons. Et nous désirons vivre pour cela. Alors nous soulevons un pied, puis l’autre, et nous faisons quelques pas, et nous entrons résolument dans la vallée de l’existence, en sifflant et en souriant, prêts à y exprimer notre puissance d’exister, notre joie de vivre, notre amor fati -c’est-à-dire l’amour de notre destinée humaine.

De quelles couleurs voulons-nous maintenant peindre notre chemin ? Du rouge passionné, du vert émeraude, du bleu nuit, du jaune solaire, du rose bonbon ? Quelles parties de la vallée voulons nous explorer ? Sommes-nous prêts à prendre des risques, à longer des gouffres pour visiter des coins inexplorés ? Restons-nous sur la voie principale ou prenons-nous des sentiers détournées ? Chacun pourra développer ses valeurs, et ainsi définir sa notion de la vie bonne.

Chaque vie sera unique. Nous pouvons sculpter la nôtre à notre image.

Évidemment, la puissance d’agir implique d’accéder à la mesure entre la transgression et la limite, et c’est pourquoi les philosophes grecs anciens plaçaient la tempérance -la capacité à réguler ses passions et ses actes- comme vertu suprême, avec la force, la prudence et la justice. S’il est bien une vertu qui exprime la sagesse, c’est la tempérance. Et on peut la relier à la capacité d’autonomie, c’est-à-dire la capacité à se fixer à soi-même ses propres lois, ses propres limites. Et comme l’Autre et l’Univers existent, et que chaque existence dépend des autres existences, nous devons viser à atteindre, individuellement et collectivement l’Autonomie interdépendante.

Nous parvenons progressivement à la question centrale de ce billet : qu’est-ce qu’une vie réussie ?

Je vais vous décevoir, je n’ai pas de réponse toute faite pour vous !

Il y a sans doute autant de réponses qu’il n’y a de sagesses, de religions, de philosophies et d’individus ! Mais nul ne peut nier que depuis des millénaires, ceux qui réfléchissent à cette question convergent vers un nombre fini d’idées principales. Le Bien, la Vérité, la Beauté, la Sagesse, la Vertu, la Joie, … Exister, contempler l’existence, créer, aimer, s’engager… Vivre la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes (Paul Ricoeur, philosophe)… Agir de telle manière que ton action soit compatible avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la Terre (Hans Jonas, philosophe)… On peut citer bien des maîtres de sagesse : Aristote, Socrate, Jésus, le Bouddha, Saint-Augustin, Kant, Schopenhaueur, Nietzsche, Sartre, etc. On trouvera ici un aperçu des différentes visions des sages et philosophes quant aux finalités de l’Existence. On peut aussi songer à toutes celles et ceux que nous connaissons et qui sont parvenus au terme de leur vie. Ont-ils eu une vie réussie ? Pourquoi la jugent-elles réussie ? Pourquoi la jugeons-nous réussie ?

De cette enquête nous pouvons apprendre beaucoup pour mener notre propre bout de chemin.

C’est ici que je voudrais pour ma part insister sur ce qui est peut-être l’expérience humaine ultime, la plus épanouissante, la plus satisfaisante, la plus pleine : le sentiment d’Éternité.

Si je devais définir ce qu’est une vie réussie en une phrase, je dirais que c’est une vie où règne le sentiment d’Éternité.

Non pas en permanence, non pas nécessairement le plus souvent, mais du moins, suffisamment.


Nous développerons cette idée davantage dans d’autres billets mais retenons déjà cette proposition. Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Une vie plongée dans le sentiment d’Éternité.




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