Méditation n°44 : n’est-il pas totalement vain que tu t’engages dans la lutte contre le Mal ?





J’abandonne sur une chaise le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent
J’attends qu’elle se réveille et qu’elle se lève enfin
Je souffle sur les braises pour qu’elles prennent

Cette fois je ne lui annoncerai pas
La dernière hécatombe
Je garderai pour moi ce que m’inspire le monde
Elle m’a dit qu’elle voulait si je le permettais
Déjeuner en paix, déjeuner en paix

Je vais à  la fenêtre et le ciel ce matin
N’est ni rose ni honnête pour la peine
 » Est-ce que tout va si mal ? Est-ce que rien ne va bien ?

L’homme est un animal  » me dit-elle

Elle prend son café en riant
Elle me regarde à  peine
Plus rien ne la surprend sur la nature humaine
C’est pourquoi elle voudrait enfin si je le permets
Déjeuner en paix, déjeuner en paix

Je regarde sur la chaise le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent
 » Crois-tu qu’il va neiger ?  » me demande-t-elle soudain
 » Me feras-tu un bébé pour Noël ? « 

Et elle prend son café en riant
Elle me regarde à  peine

Plus rien ne la surprend sur la nature humaine
C’est pourquoi elle voudrait enfin si je le permets
Déjeuner en paix, déjeuner en paix

Déjeuner en paix, chanson écrite par Philippe Djian et composée et interprétée par Stephan Eicher (1991)



Tu as tiré la conclusion que, face à l’existence avérée du Mal, tu avais le devoir de t’engager à le minimiser. En effet, tu as établis, par l’expérience de pensée du sage face à un enfant menacé de subir un mal, que ta puissance d’agir te donnait la possibilité de minimiser le Mal donc la responsabilité de le faire, dans les limites de cette puissance. Tu as également établis qu’il s’agit d’un impératif éthique catégorique, absolu.

« La lutte contre le Mal semble donc une priorité éthique absolue, au delà de la simple commission du Bien.

De manière générale, le Bien ne peut survenir au sein de l’Humanité sans une éthique de l’Engagement qui place la lutte contre le Mal en son centre. De manière générale, il importe impérativement de minimiser le Mal. »

Impératifs éthiques : qu’est-ce qu’on doit absolument faire et ne pas faire ?

Donc, en tant qu’individu, tu as le devoir de t’engager dans la lutte contre le Mal. Et ce devoir s’étend évidemment à tous les êtres humains, à la fois individuellement et collectivement, étant donné notre puissance d’agir collective, qui s’étend jusqu’à la puissance publique. C’est à la fois possible, nécessaire et souhaitable pour chacun et pour toutes.

Cependant, la contemplation du Réel te fait douter de cette conclusion, en apparence si affirmée.

Car inexorablement, l’Absurde s’insinue dans les interstices de la pensée existentielle.

À quoi bon t’engager ? Cette lutte n’est-elle pas totalement vaine ?

Car depuis que l’espèce humaine existe, le Mal existe, à la fois comme Mal inévitable, « naturel », et comme Mal évitable, non « naturel », entièrement causé par la faute de l’être humain. Et il est presque impossible de déceler une seule période dans l’Histoire où ce Mal n’aurait pas fracassé des milliers voire des millions de vies. Et tous les efforts de milliards d’existences n’ont pas changé cette donne. Il est illusoire de déceler le moindre progrès éthique, moral, individuel et collectif au cours des siècles. La Shoah a été commise il y a moins de 100 ans dans un des pays les plus éduqués, les plus cultivés, les plus prospères du monde. Aucun progrès moral inexorable. Aucun.

Alors survient naturellement la terrible tentation de l’abandon.

Et tu le sais maintenant, il te faudra accepter de lâcher prise, il te faudra accepter d’abandonner la lutte, tôt ou tard, ici ou ailleurs, dans certaines circonstances et même, comme seule manière d’accéder à la sagesse, à la sérénité, à la joie, à l’Éternité.

Il est effectivement impossible, futile et détestable de rester prostré dans la lutte permanente, du berceau à la tombe. Exister implique de lâcher prise. Tu dois et tu peux respirer et t’abandonner à l’Existence.

Une première étape est d’apprendre à contempler le Mal inévitable, celui contre lequel ni ta puissance d’agir ni la puissance d’agir collective ne peuvent rien. Il s’agit de l’accepter comme partie tragique de la condition humaine. Il s’agit pour toi d’accepter la fatalité. Et de l’aimer même comme le suggère le philosophe Friedrich Nietzsche avec ses mots d’amor fati -l’amour du destin.

Mais ensuite comment se résigner au Mal évitable, entièrement provoqué par la main humaine ? Comment se résigner à la Shoah ? Cela te semble impossible.

Et tu as raison !

Car si rien ne prouve que le libre-arbitre existe, rien ne prouve qu’il n’existe pas. Tu peux donc rationnellement faire le pari du non-déterminisme, qui implique que le principe de responsabilité a du sens, et qu’une éthique, ainsi qu’une politique, sont possibles, nécessaires et souhaitables. Ainsi, si la Liberté existe, elle existe comme liberté de commettre le Bien ou le Mal.

Ainsi, ton deuxième mouvement est celui du retour à l’Engagement. Tu peux, il est nécessaire et tu veux lutter contre le Mal.

Mais alors, troisième et dernier acte de la pièce du théâtre existentiel, tu ressens, à nouveau, froid, métallique et sans pitié, l’Absurde de la condition humaine. Tu sais bien au fond de toi que la lutte contre le Mal ne sera jamais –jamais– gagnée. Le Mal triomphera toujours, car la dégradation et l’effondrement sont les pentes naturelles de l’Univers et de l’Humanité, et qu’à la fin, il y a la Mort qui dissocie tout. Comme l’indique l’écrivain Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, l’existence consiste à rouler une pierre en haut d’une montagne, chaque jour, en sachant qu’elle finira par retomber.

Toute construction humaine, tout acte, tout effort, toute victoire n’est que temporaire, provisoire, éphémère. Tout est toujours susceptible d’être anéanti. Tout Bien est toujours sous l’épée de Damoclès du Mal qui peut le détruire : la Vie, la Vérité, la Beauté, la Justice, la Paix, la Démocratie, l’Amour, l’Amitié, l’Empathie, l’Attention, la Reliance, etc. etc.

Et s’il faut des trésors d’effort et de patience pour faire émerger du Bien, le Mal peut tout saccager en un instant. Combien d’années pour mettre au monde un enfant, l’élever et le rendre autonome ? Une fraction de seconde suffit à foudroyer cette vie. Combien d’efforts pour faire des études, construire une maison, aménager une ville, protéger une forêt, bâtir une démocratie ? En quelques instants tout cela peut basculer dans la furie de la guerre.

L’Impermanence règne, après la pluie vient toujours le beau temps, mais cette impermanence n’est pas symétrique, l’Effondrement est le phénomène universel dominant.

Alors, face à l’Absurde et au Mal inexorable, face à la Souffrance et au Tragique de l’Existence, que nous reste-t-il pour ne pas abandonner toute lutte ?

La Révolte.

C’est, face à l’Absurde du Mythe de Sisyphe, L’homme révolté du même Albert Camus.

L’éthique de Résistance.

C’est, face au Mal qui toujours revient, l’idéal de la Résistance cher au philosophe Edgar Morin, et la camaraderie qui l’accompagne. Car c’est notre souffrance commune qui fait de nous des sœurs et des frères.

Si on ne peut gagner définitivement cette guerre, on peut mener autant de batailles victorieuses pour faire reculer le front du Mal. Et chaque génération porte alors la responsabilité de son époque. Sera-ce une époque de paix et de prospérité ou une période de sang et de larmes ?

Si le summum de l’Existence individuelle et collective s’exprime par le sentiment d’Éternité, et si on acte le principe d’Impermanence universelle, ce que nous pouvons espérer, c’est de maximiser ces instants et ces périodes d’Éternité, pour chacun et pour tous, en cultivant le Bien et en luttant contre le Mal, à toutes les échelles spatiotemporelles et dans toutes les dimensions de l’Existence.

Et cela est possible et souhaitable, donc nécessaire.

Toute action qui diminue le Mal évitable dans le monde est bonne. Le moindre geste de bienveillance compte. Toute action qui réduit la malfaisance est à célébrer.

Ainsi, la réponse à la question posée dans le titre est un NON catégorique et magistral.

NON IL NE SERA JAMAIS VAIN DE T’ENGAGER DANS LA LUTTE CONTRE LE MAL !

SONGE QUE TU N’ES PAS SEUL, REJOINS LA REVOLTE, REJOINS LA RESISTANCE !

ET FONCE !

Le reste n’a aucune importance.




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Une réponse à “Méditation n°44 : n’est-il pas totalement vain que tu t’engages dans la lutte contre le Mal ?”

  1. Avatar de Olivier Parks
    Olivier Parks

    Bonsoir Cédric,

    L’absurde n’est-il pas d’ériger la puissance publique en paroxysme de l’action, fusse-t-elle même collective ?

    Amitiés,

    Olivier.

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