Comme il est tentant d’abandonner.
Comme il est tentant d’abandonner toute lutte.
Comme il est tentant de s’abandonner totalement.

Ne plus lire la presse.
Ne plus lire des livres compliqués.
Ne plus regarder des spectacles douloureux.

Ne plus s’occuper des malheurs du monde.
Ne plus débattre.
Ne plus s’opposer, ne plus contredire, ne plus résister.

Ne plus s’inquiéter de mon avenir, de celui de mes proches.

Ne plus s’angoisser pour le futur de l’Humanité.

Cesser de lutter, cesser de m’engager, cesser de combattre.
Cesser de ruminer, d’ergoter, de tergiverser.
Cesser de philosopher autour de ces questions métaphysiques et éthiques insolubles.

Cesser de vouloir trouver des « solutions » à des « problèmes ».
Cesser de vouloir « changer l’autre ».

Cesser de vouloir « changer le monde ».
Cesser de vouloir « me changer moi ».

Renoncer à travailler dans le secteur public, dans un cabinet ministériel, dans une administration.

Renoncer à œuvrer dans un groupe citoyen, une association, un syndicat, un parti.
Renoncer à faire le bien, à écrire, à discourir, à intervenir.

Ne plus faire attention à ce que je pense, à ce que je dis, à ce que je fais.
Ne plus se soucier de ce que pensent, disent, font les autres.
Ne plus vouloir « réussir », « être quelqu’un », « être reconnu », « avoir de l’influence », « inscrire son nom dans son époque, voire dans l’histoire ».

Oublier et s’oublier.

Accepter l’idée que tout est bien, dans le meilleur des mondes.
Accepter le déterminisme total de l’Univers, de l’Humanité, de l’Existence.

Accepter l’absence totale de maîtrise.

Renoncer à sauver le monde.

Renoncer à sauver ses proches.

Renoncer à me sauver.

Abandonner son ego.

Abandonner son emploi.

Abandonner son pouvoir, ses titres.

Abandonner sa réputation.

Abandonner ses possessions.

Abandonner son corps.

Abandonner ses activités.

Abandonner ses plaisirs, ses joies, ses espérances.

Abandonner ses tristesses, ses colères, ses désespoirs.

Abandonner ses responsabilités.
Abandonner ses proches.

Abandonner son amour.

S’abandonner.

N’être plus qu’une légère brindille qui flotte au gré de la rivière.
Devenir la rivière.

Ne plus penser.

Ne plus parler.

Ne plus agir.

Abandonner tout attachement, même à l’existence.

Ne plus respirer.
Abandonner la vie.

Abandonner l’idée même d’abandon.
Laisser son corps respirer.
Laisser la vie suivre son cours.

Laisser les pensées passer comme des nuages.

Laisser les paroles s’envoler comme des oiseaux.

Laisser les actes s’écouler comme le courant.

Ne pas juger.

Ne pas choisir.

Ne rien vouloir.

Abandonner tout.

S’abandonner totalement.
Abandonner l’abandon.

Être là tout simplement, ici et maintenant.

Se laisser vivre. Lâcher prise.

Être pure conscience, ni plus ni moins.