Jusqu’à quel point peut-on et doit-on s’engager ?




« Le summum de l’Engagement, c’est sacrifier sa vie pour l’Autre dans un acte de foi en Dieu, en l’Humanité, en la Vie. »

L’Engagement

Nous avons vu ce qu’était l’Engagement. Nous avons constaté que, face à l’existence du Mal, il était nécessaire de s’engager, qu’il s’agissait d’un impératif éthique. Nous avons appris qu’il existait une forme d’Engagement qui surpassait toutes les autres formes d’engagement, l’engagement pour une cause, et qu’il s’agissait de la plus haute forme d’existence. Enfin, nous avons déduit que, parmi toutes les causes possibles, la lutte écologique, c’est-à-dire la lutte pour l’existence de la Vie, de l’Humanité, de la Conscience et de la Liberté, était la plus grande cause possible, la Cause avec un grand C.

On peut, on doit et on doit vouloir s’engager pour des causes et parmi toutes ces causes, il est impératif de s’engager pour la Cause, la lutte écologique.

Mais jusqu’à quel point peut-on et doit-on s’engager ?

Il s’agit maintenant d’articuler la possibilité et la nécessité de l’engagement avec les limites de la puissance d’agir et le sens de l’existence. Il s’agit de délimiter l’engagement adéquat, juste, en continuant d’user de la raison critique.

Nous avons tenté de cerner les limites de la puissance d’agir et d’illustrer les occurrences de la puissance d’agir individuelle maximale.

Nous avons exploré la question du sens de l’existence, du « que faire ? » éthique en général et du « que faire de ton existence ? » en particulier.

Il va de soi qu’il est impossible de s’engager au delà des limites de la puissance d’agir individuelle maximale. Et qu’on est rarement en situation de disposer de cette puissance d’agir maximale. Tout le monde n’est pas le président des Etats-Unis.

Il va de soi qu’il serait absurde de détruire le sens de l’existence, le sens du « que faire ? » général et particulier, par l’engagement. S’engager ne doit pas conduire pour l’individu à ravager voire à anéantir le sens de son existence. Cela ne signifie pas que sacrifier sa vie pour une cause soit exclus. Il ne faut pas confondre vie et existence. Mais cela signifie qu’à l’extrême, le sacrifice de sa vie -ou d’un bien significatif-, ne peut se justifier qu’au regard du sens de l’existence, du sens de son existence, au travers de la lutte pour une cause.

Venons-en au plus concret.

À partir des limites de la puissance d’agir, on voit bien que la possibilité -et ensuite le devoir- de s’engager dépendent des nécessités de survie et de vie, et de la situation de l’individu. On ne s’engage pas hors sol, hors contexte, dans un vide contextuel. L’autonomie est toujours interdépendante.

Première évidence, on ne peut plus s’engager si on ne survit pas. A priori, l’engagé doit survivre. Sacrifier sa vie ne peut être qu’un ultime recours. Deuxième évidence, quel serait la possibilité et le sens de s’engager sans vivre ? S’engager implique nécessairement d’entrer dans la vie avec les autres êtres humains. Une stricte survie uniquement consacrée à l’engagement, pour peu qu’elle soit réellement possible (par périodes strictement limitées ?), ressemble également à un ultime recours. Troisième évidence, même si on peut concevoir -comme cas limite- qu’il s’engage seulement en survivant et en vivant, où résiderait la dimension authentiquement humaine de l’existence de l’engagé ? L’engagement ne doit pas non plus priver l’individu d’exister, de contempler l’existence, de créer et d’aimer. L’engagé a aussi pour engagement d’incarner une vie authentiquement humaine sur Terre.

Il s’agit peut-être d’un faux paradoxe car l’examen de la vie concrète des grands personnages engagés de l’Histoire démontre sans conteste qu’ils vécurent et qu’ils existèrent, qu’ils contemplèrent l’existence, qu’ils créèrent et qu’ils aimèrent. De plus, l’engagement est en lui-même un acte de contemplation de l’existence, un acte de création, et un acte d’amour. Ce qui résout le paradoxe au moins en principe.

Cependant, si l’on doit survivre, et si l’on peut vivre et exister pour s’engager, soyons lucides, il est impossible de s’engager sans sacrifier quelque chose de sa vie et de son existence : une partie de son temps, de son énergie, certains loisirs, certaines options dans l’arbre de sa vie. Il y a un prix à payer pour tout engagement même le plus petit. Et plus l’engagement sera fort, plus le prix à payer sera fort. Plus on s’engagera, plus il faudra payer de ses proches, de sa santé, de sa réputation, de son plaisir, de son confort. Plus on s’engagera, plus il faudra se mettre Soi-même tout entier en gage dans le jeu de l’Existence, en faisant le pari fou de l’Action, contre toutes les probabilités, au risque de se perdre corps et âme. Poussé à sa limite, l’engagement maximal se traduit par le prix maximal : le sacrifice de sa propre vie. Ce sacrifice peut conduire à un acte qui cause notre propre mort. Plus souvent, il s’agira de consacrer sa vie à une cause en guise de sacrifice.

On peut donc s’engager jusqu’à un point très élevé voire extrême. Mais le doit-on ? Quelle quantité et quelle qualité de vie et d’existence est-il adéquat et juste de sacrifier ?

D’abord, sur les moyens, tout sacrifice qui nuit à terme à la force d’un engagement est excessif. Passer toutes ses nuits blanches à manifester pour tomber malade et finir par mourir d’épuisement est absurde. L’engagement nécessite l’entretien, la conservation et même le renforcement de notre puissance d’agir. Même face à l’Urgence, la Cause, on peut et on doit s’arrêter pour « aiguiser sa scie ». Ce n’est pas parce que la Vie, l’Humanité, la Conscience, la Liberté sont menacées dans leur existence que l’engagé ne doit plus boire, manger, dormir, se soigner, bien au contraire !

Ensuite, sur les fins, il serait absurde de sacrifier sa vie en plongeant dans une rivière en crue pour sauver un beau vase qui y serait tombé. Mais si c’est un enfant qui y tombe, nous admettons que le sacrifice de sa vie pourrait être, si l’on sauve l’enfant mais qu’on se noie, un prix juste à payer.

Enfin, il reste un problème de limite sur le nombre de causes pour lesquelles on peut matériellement s’engager, et l’intensité avec laquelle on peut s’engager dans cet ensemble de causes. Le Réel est impitoyable. L’intensité maximale ne peut se concevoir que dans le cadre d’une lutte monocausale. Dès que l’ont introduit une deuxième cause au côté de la première, l’intensité de la lutte pour chacun sera réduite par les efforts consacrés à la seconde. Et ainsi de suite, à mesure que l’on prétend lutter pour de plus en plus de causes, l’intensité maximale pour chaque se réduira de plus en plus. A l’extrême, la dispersion totale des moyens ne peut que réduire les chances d’atteindre la moindre fin à néant.

On voit que l’évaluation de l’adéquation et de la justesse du sacrifice -des ressources limitées qui sont déployées- dépend de l’examen de l’adéquation des moyens et des fins de l’action.

On entrevoit alors que l’Engagement est un art et que l’engagement pour une cause revêt le caractère d’une stratégie. Si l’engagement est pour la Cause, pour la cause écologique, alors l’art et la stratégie doivent être portées à leur summum, car pour une telle fin, il faut déployer toute notre puissance d’agir, toute la puissance des moyens dont nous sommes capables.

La question du sacrifice nécessaire, des ressources à déployer, de la concentration sur une seule cause pour maximiser l’intensité de la lutte, est la plus extrême dans le cas de la Cause, dans le cas de la lutte écologique.

In fine, survivre est nécessaire pour la Cause, de manière fractale, à la fois au niveau de la finalité générale (la survie de la Vie, de l’Humanité, etc.) mais aussi des moyens individuels (la survie de l’engagé). Vivre et exister en luttant pour la Cause est possible et sans doute nécessaire. Mais il y a encore de nombreuses questions sur les sacrifices et moyens recevables éthiquement pour cette Cause. Nous y reviendrons.

Martin Luther King, Jr., lors d’un discours contre la Guerre du Vietnam, St. Paul Campus, University of Minnesota, USA.

Minnesota Historical Society

Une réponse à “Jusqu’à quel point peut-on et doit-on s’engager ?”

  1. Avatar de Olivier Parks
    Olivier Parks

    Cher Cédric,

    Comme te le permet ta puissance intellectuelle, tu traites ce sujet de manière limitative (pris dans son sens d’exhaustif ou tout est abordé, sans rien laisser au hasard, ni-même à cette part d’inconnu et de mystère que revêt le Vivant ou encore, le Réel).

    Flirter avec l’extrême, fusse-t-elle dans l’engagement envers la cause écologique, n’est-il pas aussi une tentative vaine de feindre ignorer les limites ou encore une pulsion visant à les nier? Ou encore une manque de confiance en sa juste place dans l’Univers ?

    Accomplir, parmi nos possibles – notamment eu égard à notre capacité individuelle maximale d’action – qui font sens, ce que l’on ressent juste pour soi.

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