« Ce n’est pas le critique qui compte, ni celui qui montre du doigt l’homme qui a trébuché ou qui explique comment on aurait pu mieux faire. Tout le mérite revient à celui qui descend vraiment dans l’arène, dont le visage est couvert de sueur, de poussière et de sang, qui lutte vaillamment, qui se trompe, qui échoue encore et encore – car il n’y a pas d’effort sans échec – mais qui fait son maximum pour progresser, qui connaît de grands enthousiasmes, qui se consacre à une noble cause, qui au mieux connaîtra in fine le triomphe de l’accomplissement et qui, au pire, s’il échoue, aura osé avec audace, et saura que sa place n’a jamais été parmi les âmes froides et timorées qui ne connaissent ni la victoire ni l’échec. »

Theodore Roosevelt, 26ème président des Etats-Unis, Discours prononcé à la Sorbonne à Paris en 1910. Extrait intitulé « L’homme dans l’arène ».

Ça y est, alors que toutes les conditions suffisantes étaient réunies, tu as réussi à écrire et à finaliser un texte.

Vient le moment angoissant de le publier… ou pas.

Mille angoisses surviennent :

• À quoi bon écrire et publier ? N’est-ce pas absurde ?
• Qui es tu pour prétendre écrire et publier ? Quel est ta légitimité ? Qu’as-tu à dire de si spécial pour encombrer l’espace médiatique ?
• Est-ce opportun d’écrire sur les sujets que tu traites ? Sont-ce vraiment des sujets qui méritent l’attention des lecteurs ? Ne dois-tu pas te concentrer sur autre chose ?
• Dois-tu publier tous tes textes ? Ne dois-tu pas publier uniquement les meilleurs ?
• Quand dois-tu publier ton texte ?
  • Dois-tu publier à un moment précis de l’année, de la semaine, de la journée ?
  • À quelle fréquence dois-tu publier tes textes ? Dois-tu étaler la publication de tes textes pour éviter de saturer l’éventuelle audience ?
• Où dois-tu publier ton texte ?
  • Dois-tu le publier sur ton blog ?
  • Dois-tu le publier sur les réseaux sociaux ?
  • Dois-tu demander de le publier dans la presse traditionnelle ?
  • Dois-tu le diffuser aussi par mail ?
  • Dois-tu publier régulièrement des récapitulatifs de tes textes les meilleurs ?
• Vas-tu avoir le moindre lecteur ?
  • Dois-tu absolument être lu ?
  • Comment t’assurer d’être lu ?
• Mon texte a-t-il une qualité suffisante pour être publié ?
  • Ton titre est-il mal choisi ?
  • As-tu laissé passer d’horribles fautes d’orthographe, de grammaire ou de conjugaison ?
  • Ton texte n’est-il pas illisible et désagréable ?
  • Ton texte n’est-il pas incompréhensible ? Ton langage n’est-il pas trop complexe ?
  • Ton texte n’est-il pas trop long ?
  • N’as-tu pas commis des erreurs grossières sur le fond ?
  • N’as-tu pas propagé des idées fausses ?
  • N’es tu pas trop répétitif ?
  • N’as-tu pas commis de plagiat ? As-tu indiqué et cité adéquatement tes sources ?
  • Dois-tu référencer toutes tes affirmations ?
  • L’image qui accompagne ton texte est-elle adéquate ?
  • N’as-tu pas été irrespectueux et grossier envers une personne ?
• Publier ton texte va-t-il te nuire, nuire à tes proches, nuire à tes idées ?
  • Est-ce que tu n’exposes pas ton intimité ? Ou celle de tes proches ?
  • Est-ce que tu ne donnes pas à tes ennemis des munitions pour t’abattre ou nuire aux idées que tu défends ?
  • N’as-tu pas inutilement vexé une personne importante, un allié ou un adversaire qui va chercher à te nuire ou refusera de coopérer avec toi par rétorsion ?
  • N’as-tu pas nui à la Cause par maladresse ?
  • Est-ce que quelqu’un va te chiper tes idées et en profiter à ta place ?
  • As-tu le droit de publier des extraits de tes propres livres ?
• Que va-t-on penser de toi après que tu as publié ?
  • Que vont penser les personnes qui te connaissent ?
  • Que vont penser les personnes qui ne te connaissent pas ?
  • Que vont penser tes proches, ta famille, tes amis ?
  • Que vont penser tes collègues et anciens collègues ?
  • Que vont penser tes camarades de lutte pour la Cause ?
  • Que vont penser tes lecteurs fidèles ?
  • Que vont penser tes primo-lecteurs ?
  • Que vont penser les personnes de pouvoir ?
  • Que vont penser les journalistes ?
  • Que vont penser les spécialistes du sujet ?
• Comment va-t-on te juger ? Vas-tu déplaire ? Va-t-on te critiquer plus ou moins fortement ?
• Va-t-on te délaisser, te discriminer et t’ostraciser ? Va-t-on te sanctionner ?
• Va-t-on te poursuivre en justice ? Va-t-on te faire violence ? Va-t-on te tuer un jour pour tes écrits ?

Toutes ces angoisses que tu ressens au moment de publier un texte écrit par tes soins, tu peux les généraliser à l’Existence humaine en général et à l’Engagement en particulier.

Quoique nous fassions, à partir du moment où nous décidons de vivre, nous sommes forcés d’agir dans le monde, face au regard et donc au jugement d’Autrui. Même si nous ne faisons rien de notre vie, même si nous restons le plus souvent inertes et suiveurs, nous sommes malgré tout jugés, en permanence, par tout le monde. Et une partie de ce jugement sera négatif.

Exister en tant qu’être humain, c’est exister en relation à l’Autre, dans toute notre imperfection commune. L’Autre est doté d’une capacité de jugement, d’un esprit critique, d’affects de désir, d’aversion ou d’illusion envers lui-même et autrui, et exercera effectivement sans cesse ce jugement envers quiconque croise son regard. À tort ou à raison.

Quoi que tu fasses, que tu le fasses ou non, tu es condamné à être jugé en permanence par les autres.

Certains t’aimeront, certains te haïront, certains seront indifférents à ton égard, certains nourriront des illusions à ton propos.

Certains diront du bien de toi, certains diront du mal de toi, certains ne diront rien.

Certains t’aideront, certains te nuiront, certains croiseront ta route sans chercher à faire quoi que ce soit pour ou contre toi.

Les personnes qui s’engagent, justement parce qu’elles s’engagent, sont encore plus soumises au jugement et à la critique que les personnes qui ne s’engagent pas et vivent une vie « normale » ou « banale ». Ceux qui sortent du rang se rendent forcément plus visibles donc plus vulnérables. S’engager implique de se montrer dans l’espace public au regard de toutes et tous. Cela implique de descendre dans l’arène pour lutter contre le Mal, pour le Bien, pour une cause, sous le regard de la foule dans les gradins. Ils riront ou pleureront ou seront indifférents si tu tombes au sol et avale du sable.

Parce qu’elles veulent « changer le monde », parce qu’elles se heurtent à l’inertie, à la tradition, au dogme, aux idées reçues, parce qu’elles sont différentes, parce qu’elles croient en un monde meilleur, parce qu’elles affrontent des intérêts établis, les puissants, les conservateurs, les pourris, les personnes qui s’engagent ne laissent personne indifférent et suscitent jalousie, méfiance, haine, ostracisme, discriminations ou pire.

Si les engagés devaient attendre l’admiration, l’amour et la bénédiction de la Société, jamais elles ne pourraient s’engager.

Il faut bien sûr que tu restes empathique et à l’écoute de ce que pensent les autres. Il est toujours important d’entendre la critique constructive. Mais ton engagement ne peut pas dépendre, in fine, de ce que l’un ou l’autre pense de toi, de tes actes, de tes choix, de ton engagement, de tes écrits.

Il va te falloir accepter d’être mal jugé par certains, voire subir des conséquences négatives de ton engagement.

Tu as déjà établi que tu pouvais écrire et publier en donnant du sens à cet acte.

Tu sais, comme l’a montré le philosophe Jean-Paul Sartre, que ta liberté d’écrire a pour contrepartie la liberté du lecteur de te lire, ou pas.

Tu sais déjà écrire de manière à minimiser les risques d’effets indésirables pour toi, tes proches, ta cause.

Tu vas encore t’améliorer et peu à peu, tu t’habitueras à agir et à t’engager sans trop te soucier de ce que pensent les autres.

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