Beaucoup de gens disent qu’ils n’aiment pas la politique, et que la politique, ça ne les intéresse pas. Quelle erreur ! Car si vous ne vous occupez pas de la politique, sachez qu’elle s’occupe déjà de vous à votre insu ! La politique, ce sont nos vies et ce que nous en faisons toutes et tous. Elle est passionnante même si souvent pleine d’adversité et de maux. Si nous avions une meilleure compréhension et une meilleure pratique de la politique (via la pratique démocratique dès le plus jeune âge), combien de malheurs n’éviterions-nous pas ?

Au sens le plus large, la Politique est le champ multidimensionnel, transversal et systémique de l’existence humaine où s’exercent le pouvoir, la puissance, et le rapport de force entre individus. Ce champ recouvre les phénomènes de la domination des uns sur les autres, de l’exploitation des uns par les autres, mais aussi de la coopération au sein des groupes et des sociétés, du développement de la puissance d’agir collective (la puissance publique) et de son articulation avec la puissance d’agir individuelle, de l’organisation de la distribution des biens et des maux au sein d’une société, des institutions qui font émerger du pouvoir politique (Etat, parti, lois, budgets, assemblées, etc.), et tous les autres phénomènes aux propriétés politiques. Liberté, Égalité et Fraternité sont politiques.

La Politique est donc un métaphénomène majeur de l’existence humaine.

Il suffit de deux êtres humains en interaction, même infime, pour qu’il y ait rapport de force implicite, et donc Politique. Robinson Crusoé et Vendredi créent déjà un espace politique sur leur île déserte (il y aurait d’ailleurs beaucoup à en dire !). Deux frères (Cain et Abel, et déjà, la naissance mythologique du meurtre !), deux amants en couple (Roméo et Juliette, oui l’amour est politique !), deux inconnus qui se croisent sur un sentier étroit (il va bien falloir savoir qui laisse passer l’autre !), c’est déjà l’apparition du phénomène Politique. La Politique n’est donc pas une bonne ou une mauvaise chose, c’est un phénomène inscrit dans le Réel, qu’on ne peut donc ignorer et qu’il s’agit de comprendre si l’on veut contempler l’Existence et, éventuellement, s’engager.

Si l’on fait preuve d’ouverture d’esprit, on doit admettre que la Politique n’est pas réservée aux Humains. On peut tout à fait identifier des phénomènes aux propriétés politiques dans le monde vivant non-humain. L’exemple le plus évident se trouve dans les comportements tout à fait politiques des grandes singes (domination, exploitation, rapport de force, décision collective, etc.). Mais d’autres espèces démontrent des comportements proto-politiques qui montrent que le métaphénomène Politique chez les humains a des précurseurs au sein du vivant. La raison en est simple à comprendre : l’Adversité. L’Adversité est un métaphénomène existentiel pour tout le vivant (et pour tout ce qui existe, sous la forme moins intentionnelle et plus générique de l’Antagonisme). Or la Politique naît fondamentalement de l’Adversité. C’est parce qu’il y a des intérêts irréductiblement divergents entre entités vivantes que naît la nécessité d’un rapport de force et de pouvoir, plus ou moins pacifique et ordonné. Même le couple le plus amoureux du monde doit parfois discuter, voire se disputer, pour clarifier ses interactions.

Bien sûr, il peut paraître excessif de parler de Politique dans le monde microbien ou chez les champignons mais à ce stade, nous suspendrons notre jugement pour définir de la manière la plus large la notion de Politique. Nous avons d’excellentes raisons pour ce faire.

Traditionnellement, l’Humanité a conçu la Politique comme un champ uniquement réservé aux êtres humains. Une pensée occidentale mais aussi parfois orientale a séparé nettement « la nature » de « la culture », comme si le monde humain pouvait s’affranchir totalement des limites de la Vie, de la Biosphère et de la Terre ! C’est pourquoi une pensée politique plurimillénaire ne donne aucune place au phénomène vivant non humain. La « nature » est un décors de théâtre pour une pièce uniquement jouée par et pour les Humains. Aujourd’hui, le problème est que le décors nous tombe sur la figure !

On ne peut s’empêcher de penser que c’est une des raisons, si pas la raison fondamentale de l’Écocide. Notre métaphysique (notre vision inconsciente du monde) ignore le fait vivant, notre interdépendance à ce vivant, et dès lors conçoit mécaniquement la Politique comme « hors sol ».

En poursuivant ce mouvement d’extension du champ politique, on comprend qu’on ne peut non plus exclure les entités non vivantes du périmètre de compréhension. Aujourd’hui, toute politique est interdépendante d’une infinité d’éléments inertes, matériels (pétrole, métaux, Soleil…). De toute façon, les éléments vivants et inertes sont tellement imbriqués au sein de la Biosphère qu’une analyse qui l’ignore est forcément borgne.

C’est pourquoi il est aujourd’hui indispensable d’intégrer dès l’abord tous les êtres vivants et tous les étants non vivants dans le champ de la Politique grand P.

En un sens, tout est Politique. Du phénomène le plus anodin ou le plus automatique comme respirer, manger, se divertir, jusqu’aux enjeux de fin de vie comme le suicide, et ultimement la Mort. La Politique est d’ailleurs le champ par excellence où se discute les enjeux de vie ou de mort, les enjeux existentiels.

La géopolitique est l’extension de la Politique au monde entier. La biopolitique est un néologisme utilisé par le philosophe Michel Foucault pour identifier une forme d’exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les territoires mais sur la vie des individus, sur des populations, le biopouvoir. Mais on pourrait enrichir ce terme de biopolitique de nouvelles significations en étendant le champ de la Politique à l’ensemble du Vivant, comme esquissé ci-dessus.

L’expression la plus puissante, en termes thermodynamiques et éthiques, de la Politique est la Guerre, continuation de la politique par d’autres moyens selon Carl von Clausewitz. Certains ont même renversé cette phrase célèbre : la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens, ce qui nous renseigne davantage sur la nature adverse de la politique. Qui dit Adversité dit Stratégie. Car toutes les entités vivantes font preuve de Stratégie, au sens large, face à l’Adversité de l’Existence.

Ma conception de la nature fondamentale de la Politique, du rapport de force, est inspirée du philosophe Étienne de La Boétie. Elle se trouve ramassée dans sa célèbre formule « Soyez résolus à ne pas servir et vous voilà libres ». Cette conception du pouvoir politique est révolutionnaire car elle accepte le constat terrible qu’un pouvoir politique est toujours prêté par un individu à un autre individu et n’est jamais une propriété intrinsèque de cet autre individu. Ainsi, l’esclave prête son pouvoir à son maître. Le maître n’en dispose plus si l’esclave reprend son pouvoir.

Beaucoup de gens qui découvrent cette conception peinent à la comprendre et à l’admettre. En effet, cette conception du pouvoir élucide une réalité déplaisante : beaucoup d’entre nous consentons à être enchaînés par d’autres. C’était déjà le constat du philosophe Emmanuel Kant qui nous appelait à sortir de la minorité (emprunter nos opinions chez des maîtres à penser) pour accéder à la majorité (oser savoir par soi-même, se fixer son propre cap, accéder à l’autonomie).

De là découle une conception du pouvoir politique pleine de promesses car elle ouvre une gigantesque perspective de libération et d’émancipation à tous les dominés qui veulent la liberté, l’égalité et la fraternité. Fondamentalement, s’affranchir ne dépend que de nous-mêmes, et pas du bon vouloir de nos maîtres.

J’y reviendrai.




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