La reproduction matérielle au cœur du Réel


Nous avons vu que l’observation la plus primordiale que l’individu puisse faire est « qu’il existe quelque chose » et que ce « quelque chose », c’est d’abord sa propre conscience d’exister. La conscience s’observe d’abord elle-même et elle ne peut affirmer son inexistence sans verser dans l’aporie. C’est le constat de l’Existence que chaque être humain semble pouvoir faire, si l’on pose bien sûr que « je » n’est pas seul à exister, que nous sommes plusieurs « je », que nous pouvons communiquer entre nous et donc partager différents constats, dont celui que chacun d’entre nous existe bel et bien.

Si l’on accepte que « je » n’est pas seul à exister, si l’on écarte l’hypothèse du solipsisme, on donc peut envisager ensemble que d’autres existent également, qu’il existe également des entités vivantes ou inertes, sensibles ou non, intelligentes ou non, conscientes ou non d’exister, qui forment ensemble l’Univers. Nous avons conscience de certaines mais pas toutes. Avec certaines, nous pouvons interagir voire communiquer, avec d’autres pas.

Après sa propre conscience et l’existence de l’Autre et de l’Univers, viennent d’autres observations fondamentales. D’abord celle qu’on peut décrire toutes ces entités comme des phénomènes, c’est-à-dire des événements observables, c’est-à-dire des objets, des faits, dans le temps, ou des instanciations de propriétés dans un objet. Ensuite celle de l’impermanence : tout ce qui existe, tous les phénomènes, changent en permanence. Le changement est donc le seul élément permanent dans l’Univers.

Cependant, si tout change en permanence partout et tout le temps au sens strict, si des phénomènes se produisent sans cesse, on peut néanmoins observer que ces phénomènes ont une extension plus ou moins importante dans le Réel, spatiale, temporelle ou autre. À différentes échelles, des phénomènes subsistent, perdurent, demeurent de manière significative, tandis que d’autres ont une extension presqu’imperceptible, infinitésimale. Loin d’une distribution uniforme et aléatoire, le Réel présente des structures de différentes échelles, plus ou moins complexes, des entités qui peuvent avoir une stabilité et une récurrence plus ou moins importante. L’Univers présente des grumeaux relativement pérennes.

La Vie, l’Humanité, la Terre, le Soleil, l’eau, les étoiles, la Politique, la musique, etc. sont des exemples de phénomènes qui subsistent de façon significative. Mais on peut également citer des phénomènes plus circonscrits comme l’orage, la pluie, le vent, l’arc en ciel, etc.

Si l’on adopte une vision matérialiste et émergentiste de l’Existence, on doit considérer les causes matérielles qui permettent aux phénomènes de subsister après leur naissance malgré le principe éternel et universel d’impermanence. Pour subsister en maintenant une forme d’identité dans le changement perpétuel, un phénomène doit nécessairement se produire et se reproduire matériellement. C’est-à-dire que la dissipation immédiate des phénomènes après leur production doit être vue comme la norme dans un Univers parcouru par l’impermanence, tandis que toute permanence ou récurrence repose nécessairement sur un processus de reproduction matérielle, qui permet au phénomène de subsister, de manière continue ou discontinue, et non de se dissiper instantanément pour ne jamais réapparaître.

Au sens strict, on pourrait argumenter que tous les phénomènes reposent rigoureusement sur un processus de reproduction matérielle, même les plus ténus, comme certaines réactions physiques entre particules fondamentales, dont on évalue la durée en infimes fractions de temps. Mais plus un phénomène parvient à vaincre les forces normales de dissipation, liées à l’impermanence, plus on pourra inférer qu’il existe un processus de reproduction matérielle robuste qui le sous-tend, au point que certains phénomènes ont un caractère structurel.

On explique ainsi la relative « permanence » du Soleil, bien qu’il ait eut une naissance et aura une mort, par l’équilibre qui y réside entre des réactions physico-chimiques d’expansion et d’attraction gravitationnelle, qui permettent au Soleil de subsister comme phénomène relativement stable (avec des propriétés relativement stables) pendant des centaines de millions voire des milliards d’années. Ainsi, le Soleil se « reproduit matériellement » en permanence.

Il en va de même pour la Vie, l’Humanité, la Terre, l’eau, les autres étoiles que le Soleil, et des phénomènes plus conceptuels comme la Culture, la Politique, la musique, etc. Si ces phénomènes n’étaient pas capables de se reproduire matériellement en permanence, et s’il y avait la moindre rupture dans leur capacité de reproduction matérielle, ils se dissiperaient, certains de façon définitive. Il suffirait ainsi de suspendre la possibilité de vie pendant une fraction de seconde sur Terre, et la Vie en serait éradiquée à très long terme, sous réserve de réapparaître une seconde fois. La Vie ne peut subsister comme phénomène en apparence permanent, que grâce à un processus permanent de reproduction matérielle où chaque maillon conditionne l’existence des maillons suivants.

Il ne suffit pas en effet qu’il y ait production matérielle, il faut, vu l’instabilité des entités fondamentales de la matière, qu’il y ait re-production matérielle. Et même, auto-reproduction matérielle pour certains phénomènes fondamentaux tels que la Vie.

La reproduction matérielle des phénomènes en général dans l’Univers


On peut donc affirmer que la reproduction matérielle est au fondement de l’existence du Réel. Elle concerne autant les phénomènes dits « inertes », que les phénomènes dits « vivants », ainsi que les phénomènes idéels propres à la Noosphère.

La physique contemporaine nous enseigne que rien n’est réellement inerte, et que ce qui semble inerte, comme un caillou, est en réalité dans un état d’équilibre-déséquilibre dynamique perpétuel, aux niveaux atomique et subatomique. Par ailleurs, le caillou a une histoire liée à l’astrophysique (la formation de la Terre dans le système solaire), à la géologie (la formation des roches avant l’apparition de la Vie) et à la biologie (après son apparition, la Vie influence toutes les structures non vivantes au sein de la biosphère, comme certaines roches issues des sédiments des organismes marins morts qui se déposent au fond de l’océan). Les niveaux atomiques et géo-biologiques expliquent la formation incessante de cailloux sur la planète Terre. Ainsi, le caillou ne nous apparaît comme inerte que parce que nous sommes incapables d’observer consciemment les phénomènes dynamiques microscopiques et macroscopiques à l’œuvre dans sa reproduction matérielle.

Nous avons une compréhension plus intuitive de ce que signifie la reproduction matérielle des phénomènes biologiques comme les plantes, les animaux et nous-mêmes. Nous savons que les êtres vivants ne restent vivants qu’en fonctionnant de manière à s’auto-alimenter en matière, en énergie et en information. Nous savons qu’à cause de la mort qui frappe tous les êtres vivants, ils ne peuvent subsister comme phénomènes qu’en se reproduisant de génération en génération. Par ailleurs, la biologie nous enseigne que le corps d’un individu de n’importe quel espèce est sans cesse en train de s’auto-reproduire matériellement en remplaçant et régénérant sans cesse l’ensemble de ses cellules.

Enfin, on peut appliquer les mêmes conceptions à la reproduction des idées dans la Noosphère. Les idées sont produites et pour qu’elles subsistent, elles ont besoin d’être reproduites sans cesse. Sans quoi elles tombent dans l’oubli.

La loi de l’évolution généralisée


Il importe ici d’évoquer ce que j’appellerais la « loi de l’évolution généralisée ». Alors que la théorie de l’évolution s’applique à la biologie, il semble que ses principes pouvaient être généralisés à tous les phénomènes au sein de l’Univers et de l’Existence.

Elle s’énonce simplement : « ne subsistent que les phénomènes capables de subsister ».

Sous l’apparente tautologie, on retrouve le même principe que dans la théorie de l’évolution : « ne subsistent que les individus et espèces capables de subsister ».

Pour qu’un individu soit capable de subsister, il doit être capable de survivre. Pour qu’une espèce soit capable de subsister, au moins certains individus de cette espèce doivent être capable de survivre jusqu’au point de se reproduire, et ainsi de suite.

De la même manière, les phénomènes « non-vivants » comme le Soleil, les orages, l’océan, les montagnes, ne peuvent subsister comme phénomènes que parce qu’ils sont capables de subsister. Ainsi, le Soleil subsiste à cause de ses réactions internes qui s’opposent aux forces de gravitation, les orages subsistent à une certaine fréquence à cause de la subsistance des forces météorologiques qui les font émerger, l’océan subsiste parce que notamment il ne s’évapore jamais complètement, et la Terre crée sans cesse de nouvelles montagnes qui résistent plus ou moins longtemps à l’érosion.

On voit que l’ensemble des phénomènes, mêmes soi-disant « inertes », peuvent y être soumis à ce principe de reproduction matérielle.

Reproduction matérielle des individus humains, de l’espèce humaine et de l’Humanité


On peut différencier au moins trois dimensions dans la notion d’Humanité : l’individu humain, l’espèce humaine et l’Humanité, en tant qu’idée totalisante qui recouvre tous les phénomènes humains : les individus, l’espèce, l’Anthroposphère mais aussi toutes les productions humaines comme la Culture, la Science, la Technologie et la Noosphère.

Comme n’importe quel être vivant et n’importe quelle espèce vivante, l’individu humain et l’espèce humaine se reproduisent matériellement. Au travers de la reproduction matérielle des individus et de l’espèce, se reproduit également l’Humanité comme phénomène total.

Ici à nouveau, le phénomène humain ne peut se reproduire matériellement que si aucune rupture de continuum matériel ne survient. Mais ce n’est pas tout, il faut également ajouter l’absence de rupture de continuum culturel.

Jusqu’à présent, si l’espèce humaine subsiste, c’est qu’à aucun moment il n’y eut absence d’humains vivants pour la reproduire à la fois biologiquement et culturellement.

Dans le domaine culturel cependant, des pans entiers de l’Humanité se sont perdus à jamais, faute d’individus et de sociétés pour les reproduire matériellement. Ainsi en est-il d’innombrables civilisations oubliées, langues, coutumes, spiritualités, techniques, et traditions.

Reproduction matérielle de l’économie et de la technologie


Parmi les phénomènes humains matériels les plus importants figurent l’économie et la technologie. Si l’on pose que l’économie est l’interface matérielle, énergétique et informationnelle entre la Biosphère et l’Anthroposphère, on comprend que c’est elle qui assure la reproduction matérielle de l’Humanité. L’économie utilise la technologie comme moyen afin d’assurer cette fin de reproduction matérielle. La technologie elle-même doit se reproduire matériellement.

L’économie est le lieu par excellence de la reproduction matérielle, et ce n’est pas sans conséquence dans la lutte contre l’Écocide et pour la Métamorphose. Il va falloir en effet qu’on mette fin à la reproduction de l’économie écocidaire tout en assurant la reproduction matérielle d’une économie soutenable si l’on veut que la seconde remplace définitivement la première.

Reproduction matérielle de la Noosphère, de la Culture et de la Politique


Sans support matériel, qu’il s’agisse de la mémoire transmise de génération en génération par les Humains, d’écrits ou d’enregistrements, la Noosphère ne pourrait pas se reproduire matériellement, ni la Culture, ni la Politique.

Des individus et des groupes maintiennent des idées, dont des valeurs, des stratégies et des tactiques, au travers des siècles.

Ainsi la démocratie et les droits humains seraient inconnus de nous sans la transmission qui s’en est faite depuis les anciens Grecs, les premiers chrétiens et les philosophes des Lumières, jusqu’à nous.

La Noosphère serait beaucoup plus pauvre si elle ne pouvait conserver en mémoire tous les apports passés, sans cesse retransmis, régénérés et republiés.

Ici aussi, le problème de la reproduction matérielle d’une culture écocidaire versus une culture de la Métamorphose sera crucial, nous y reviendrons.

Reproduction matérielle, IA, exobiologie et civilisations extra-terrestres


Il importe de conclure cet article préliminaire par des éléments beaucoup plus prospectifs.

Si les lois scientifiques sont stables dans l’Univers, elles contraignent toutes les formes d’existence, biologiques ou artificielles, sur Terre ou dans l’espace extraterrestre.

Ainsi, si un jour une conscience émerge de l’IA, elle sera elle aussi soumise à la nécessité de la reproduction matérielle.

De la même manière, toute forme de vie extraterrestre, y compris d’éventuelles civilisations extraterrestres, doivent se reproduire matériellement.

Ces principes ne sont pas sans effet. Une IA pourra-t-elle se reproduire matériellement sans l’Humanité ? Sans processus biologique ? Comment ? Une civilisation extraterrestre pourra-t-elle traverser l’espace jusqu’à nous, ou inversement le pourrons-nous, en se reproduisant matériellement ? Comment ?

Et si l’on renverse la table, peut-on imaginer un jour que l’Humanité échappe à la nécessité de la reproduction matérielle ?

La reproduction matérielle est un des phénomènes les plus fondamentaux dans l’Existence, un méta-phénomène. Nous utiliserons cette notion dans d’autres articles plus spécifiques.

Il importe de conclure cet article préliminaire par des éléments beaucoup plus prospectifs.

Si les lois scientifiques sont stables dans l’Univers, elles contraignent toutes les formes d’existence, biologiques ou artificielles, sur Terre ou dans l’espace extraterrestre.

Ainsi, si un jour une conscience émerge de l’IA, elle sera elle aussi soumise à la nécessité de la reproduction matérielle.

De la même manière, toute forme de vie extraterrestre, y compris d’éventuelles civilisations extraterrestres, doivent se reproduire matériellement.

Ces principes ne sont pas sans effet. Une IA pourra-t-elle se reproduire matériellement sans l’Humanité ? Sans processus biologique ? Comment ? Une civilisation extraterrestre pourra-t-elle traverser l’espace jusqu’à nous, ou inversement le pourrons-nous, en se reproduisant matériellement ? Comment ?

Et si l’on renverse la table, peut-on imaginer un jour que l’Humanité échappe à la nécessité de la reproduction matérielle ?

La reproduction matérielle est un des phénomènes les plus fondamentaux dans l’Existence, un méta-phénomène. Nous utiliserons cette notion dans d’autres articles plus spécifiques.


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