Commentaire n°30 : Quand Le Monde célèbre un découplage écologique inexistant




Philippe Escande, journaliste économique au journal Le Monde, signe ce 4 mars 2024 une chronique intitulée « La thèse d’un possible découplage entre la croissance économique et celle des émissions de CO2 se confirme« .

Pour différentes raisons, j’estime que ce titre, cet article et ce propos sont inadéquats car ils sont contraires à la bonne information et à la bonne éducation du lecteur, qui constituent parmi les missions les plus essentielles de la presse.

Pour l’économiste informé d’écologie, donc pas l’économiste mainstream ni le journaliste économique mainstream, malheureusement, le titre est fallacieux. Et il n’y pas lieu de pousser un cocorico.

Je précise d’abord que je pense possible une société soutenable avec un minimum de technologie de confort et de santé AVEC des énergies renouvelables comme source principale voire unique d’énergie non humaine et non animale. Bien sûr, il ne s’agit pas du tout d’une société qui ressemble à la nôtre (thermo-industrielle) mais on peut imaginer une haute qualité de vie ET la soutenabilité dans cette société prospective. On peut imaginer un découplage entre le « bonheur humain » et « l’empreinte écologique ».

Cependant ici, dans cet article du Monde, on parle du découplage entre la croissance du PIB et les émissions de gaz à effet de serre dans le monde, en Europe et aux Etats-Unis. Et on est très loin du découplage nécessaire pour l’habitabilité planétaire, qui doit être :

  • absolu (et non relatif, il faut une réduction nette de l’impact écologique)
  • mesuré à l’échelle mondiale (car l’économie est mondialisée, ou il faut justifier sa réalité sur un sous territoire, par exemple une économie autarcique ou relativement indépendante du reste du monde ou sans impact écologique significatif sur le reste du monde)
  • complet (c’est-à-dire concerner tous les impacts écologiques critiques pour l’habitabilité planétaire et pas seulement un type d’impact comme le climat)
  • structurel (et pas seulement ponctuel ou conjoncturel)
  • pérenne (et pas seulement sporadique ou périodique)


Et si on ajoute des dimensions humaines éthiques au delà de l’habitabilité, le découplage doit aussi être :

  • juste
  • générateur d’une existence authentique pour toutes les formes de vie
  • démocratique


Un découplage qui ne serait pas absolu, mondial, complet, structurel et pérenne ne permet pas de garantir la soutenabilité de l’activité humaine sur Terre, dont l’existence de nos sociétés. Il suffit en effet qu’UNE SEULE limite planétaire soit franchie trop longtemps pour menacer l’existence de TOUTES les sociétés humaines sur notre planète. En matière de climat, les émissions d’un seul pays, par exemple de la Chine ou des Etats-Unis, peuvent suffire à déstabiliser encore plus le climat et menacer l’entièreté de l’humanité.

Le découplage dont on parle dans l’article du Monde est certes absolu mais local (Europe, USA, alors que leurs échanges économiques avec le reste du monde et leur empreinte écologique sur le reste du monde sont gigantesques), partiel (seulement par rapport aux émissions de gaz à effet de serre), non structurel (à ce stade), non pérenne (à ce stade), non juste (les inégalités demeurent criantes dans et hors de ces pays, y compris dans leurs échanges commerciaux) et non existentiellement authentique (des humains vivent dans la misère et les vivants non humains continuent à mourir en masse, domestiques et sauvages).

Mais le point majeur est qu’il est partiel et donc incomplet. Donc ce n’est PAS le découplage dont nous avons besoin.

Optimiser la réponse à un seul facteur de franchissement des limites planétaires, le climat, et observer une amélioration locale en ce sens, ne suffit pas.

Plus largement, j’en profite pour dire que je ne crois en aucun cas à un découplage absolu entre économie MATÉRIELLE (ici mesurée par le PIB et sa croissance) et EMPREINTE ÉCOLOGIQUE, DANS le système économique mondialisé capitaliste néolibéral. Je pense cela impossible. Je crois en fait au COUPLAGE ABSOLU de l’économie MATERIELLE et de l’empreinte écologique pour des raisons biophysiques indépassables.

Je ne crois possible qu’une seule forme de découplage absolu : celui entre VIE BONNE (ou bien-être ou prospérité dans la qualité de vie) et empreinte écologique.

Ce n’est pas du tout la même chose que le découplage absolu entre croissance du PIB d’un territoire et émissions de gaz à effet de serre.

Cet article ne prouve réellement qu’une seule chose : que les énergies renouvelables réduisent effectivement les émissions de gaz à effet de serre totales, du moins à court terme.


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