Avec l’Énergie et la Matière, l’Information fait partie des phénomènes les plus fondamentaux dans l’Univers.

Qu’est-ce que la conscience, sinon l’information que nous existons ? Qu’expérimentons-nous tout au long de notre existence, si ce n’est un flux ininterrompu de sensations, d’émotions, de pensées, c’est-à-dire d’informations ? Une vie humaine est-elle autre chose que la somme de toute cette information vécue, de la naissance à la mort ? L’Humanité est-elle autre chose que l’ensemble de toutes les informations perçues, créées, transformées, mémorisées et échangées par tous les individus et les groupes, de génération en génération ? La Vie, ne serait-ce pas l’immense cumul d’expérience de toutes les créatures depuis 4 milliards d’années sur Terre ? Et l’Univers tout entier ne peut-il pas se concevoir comme l’expérience incommensurable de tous les possibles informationnels, équivalente à l’émergence, au déploiement, au développement, à la transformation et à la transmission de l’Information elle-même ?

Au niveau le plus élémentaire, l’information se transmet et se stocke via des bits, c’est à dire l’unité la plus simple d’un système de numération ne pouvant prendre que deux valeurs, en général 0 et 1.

Dans la théorie de l’information, un bit est la quantité minimale d’information transmise par un message, et constitue à ce titre l’unité de mesure de base de l’information en informatique. La quantité d’information effectivement transmise s’exprime en shannons, et ne peut dépasser la taille du message en bits.

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Au sein de l’Univers, la Vie émerge non seulement de l’Énergie et de la Matière mais aussi, d’une certaine manière, de l’Information. En outre, la Vie ajoute de l’information à l’Univers qui, sans elle, serait moins complexe.

L’Information est un phénomène paradoxal car elle est à la fois indépendante et dépendante de l’Énergie et de la Matière. Intellectuellement, en théorie, on peut la concevoir indépendamment de tout substrat énergétique et matériel. L’Information n’est en effet réductible ni à l’Énergie ni à la Matière qui la portent. Il est par exemple impossible de déduire seulement des supports matériels et des processus énergétiques de la transmission d’ADN au fil des générations, toute la richesse de l’information biologique, qui ne se révèle pleinement qu’en situation écologique. A contrario, l’Information semble en pratique ne pas pouvoir exister indépendamment de l’Énergie et de la Matière. Toute l’informatique repose par exemple sur une lourde infrastructure matérielle et énergétique, sans laquelle toute l’information mémorisée, traitée et transmise disparaît. Il en va de même pour l’information contenue dans un cerveau humain, qui disparaît avec le décès de l’individu, sauf si elle est retranscrite, au moyen d’énergie et de matière, dans un nouveau support. Et pour ce qui concerne la Vie, l’ADN stocke une information qui est transmise et traitée via les processus matériels et énergétiques des corps vivants. N’importe quel support énergétique et matériel peut théoriquement enregistrer de l’information. Des gravures sur la pierre à l’encryptage de données sur un disque dur magnétique, en passant par le vivant.

D’une part, on peut faire l’expérience de la matière et de l’énergie en tant qu’être humain et dire « ceci est de la matière » ou « ceci est la manifestation de l’énergie », assez simplement. Par exemple en montrant un énorme rocher ou un éclair d’orage. L’information, quant à elle, est évanescente. Pourtant, un des phénomènes premier à nous est celui de notre conscience d’exister, le fameux « je pense donc je suis », qui est purement informationnel.

Y avait-il de l’Information avant l’émergence de la Vie ? Oui dans le sens où, apparemment dès le Big Bang, on pouvait déjà distinguer des « grumeaux » dans la trame universelle, c’est-à-dire des différentiations locales rompant l’uniformité générale dans l’espace-temps, c’est-à-dire des phénomènes que l’on aurait pu distinguer, décrire et manipuler avec des 0 et des 1, selon le système binaire de l’informatique. Non dans le sens où il n’y avait peut-être pas de « on », pas de sujet pour distinguer, décrire et manipuler ces différentiations.

De la Vie fille de l’Univers, émerge ensuite l’Humanité, elle-même petite-fille de l’Énergie, de la Matière et de l’Information, qui ajoute à sa mère et à ses grand-mères une nouvelle couche de complexité informationnelle.

Y avait-il de l’Information avant l’émergence de l’Humanité ? Oui dans le sens où la Vie est capable de distinguer, décrire et manipuler l’information préexistante et de générer de l’information entièrement nouvelle. La Vie tout entière est elle-même une information nouvelle, un phénomène nouveau, dans l’Univers. Et la Vie a généré une immense bibliothèque d’information nouvelle au sein de l’Univers, à partir d’énergie, de matière et d’information. Un exemple de cela, nous l’avons vu plus haut, est l’ADN, qui transfère la mémoire du vivant de génération en génération depuis environ 4 milliards d’années. Non dans le sens où on restreindrait le sens du mot Information à la présence d’une Conscience du niveau de celle des êtres humains. S’il faut avoir conscience que l’Information existe, et même avoir la conscience réflexive de ce que signifie l’Information, alors cette dernière n’est pas apparue avant les premières espèces du genre Homo capables de saisir ce phénomène de manière consciente.

Il est difficile de plaider qu’il n’y avait pas d’Information « potentiellement exploitable » avant l’émergence de la Vie sur Terre car on ne peut exclure que d’autres formes de Vie ont préexisté ailleurs dans l’Univers, qui auraient pu s’en saisir (par exemple via l’observation astronomique de notre planète depuis leur position). Mais même si on définit la Vie au-delà de celle qui est apparue sur Terre pour englober toute Vie possible dans l’Univers, on peut malgré tout concevoir qu’en « potentiel exploitable », l’Information préexistait à la toute première forme de Vie dans l’Univers. On pourrait même avancer que la Vie émerge précisément parce qu’il y a de l’Énergie, de la Matière ET de l’Information potentiellement exploitables en un espace-temps donné. Cela à partir du moment où on considère qu’il existe de l’Information potentiellement exploitable dès lors que l’Univers se différencie en « grumeaux » locaux, qui dès ce moment permettent le codage binaire en 0 et 1.

Mais peu importe ces réflexions, pour ce qui nous concerne, l’Information n’a plus quitté ni la Vie depuis environ 4 milliards d’années, ni l’Humanité, depuis au moins 300.000 ans. La Vie et l’Humanité pourraient être analysées comme d’immenses processus de traitement de l’information existante et de création de nouvelle information.

L’Humanité est en elle-même un phénomène nouveau, donc une information nouvelle, dans l’Univers. Et, comme la Vie, l’Humanité a généré une nouvelle et immense bibliothèque d’information au sein de l’Univers, elle aussi à partir d’énergie, de matière et d’information préexistante. Cette bibliothèque, nous pouvons l’appeler Noosphère, la sphère des idées qui émerge, enveloppe et influence en retour l’Humanité.

Selon des critères purement quantitatifs, cette Noosphère a crû de manière exponentielle depuis que l’espèce humaine est née. Elle est restée d’abord relativement stable en taille, pendant des millénaires de société premières, puis sa taille a connu une première accélération lors du néolithique et de l’émergence des sociétés agraires, où apparut la nécessité d’inventer l’écriture pour stocker et transmettre cette nouvelle masse d’information dans les sociétés humaines, et cette accélération s’est encore amplifiée à travers l’Antiquité, le Moyen-Âge, la Renaissance, les Temps modernes et puis l’époque contemporaine. Aujourd’hui, la phase exponentielle de croissance de la taille de l’Information au sein de la Noosphère est évidente avec l’Internet, les réseaux sociaux, le nombre annuel de publications scientifiques, etc. Il est vraisemblable que l’émergence de l’IA va encore accélérer exponentiellement ce mouvement, sauf si une limite énergétique et matérielle est atteinte, ce qui n’est pas impossible.

Toutes ces évolutions posent un problème critique pour l’Humanité, les sociétés et l’individu humain. La masse d’information en croissance exponentielle devient elle-même, d’un certain point de vue, une menace existentielle pour nous.

Alors que l’être humain et les groupes d’êtres humains sont des entités nécessairement limitées, l’Information auxquels ils font face, bien que limitée au sens strict, leur apparaît, au point d’usage pratique, illimitée, tant l’écart entre les capacités de traitement humaines et la masse d’information en croissance s’aggrave. L’Énergie, la Matière et l’Information imposent des limites indépassables dans l’Univers au stock total et au flux total d’information mais ces limites sont encore plus restreintes au niveau de la Vie et de l’Humanité, à cause des contraintes encore plus strictes qui s’imposent à ces deux phénomènes vivant et humain. Autrement dit, l’Univers peut « traiter » plus d’information que la Vie, qui peut « traiter » plus d’information que l’Humanité, qui peut « traiter » plus d’information qu’une société, qui peut « traiter » plus d’information qu’un groupe humain, qui peut « traiter » plus d’information qu’un individu seul.

L’Univers, la Vie, l’Humanité, une société, un groupe et un individu peuvent respectivement stocker et traiter tant d’information par unité d’espace-temps, et pas plus.

C’est là qu’intervient la Technologie, qui a permis à chaque génération humaine de traiter, stocker et diffuser beaucoup plus d’information que ses ancêtres. La culture orale des peuples premiers a d’abord été complétée par l’écriture à l’Antiquité, d’abord rare puis généralisée par l’imprimerie à la Renaissance. Sont apparues ensuite de plus en plus de technologies de la communication lors des Temps modernes et de l’époque contemporaine, qui ont augmenté la production et la diffusion d’information. Ce mouvement s’est encore accéléré lors des XXème et XXIème siècles avec l’émergence de l’informatique et de l’Internet. Et l’IA promet des augmentations massives de capacité en ce sens.

Face à l’explosion du stock et du flux d’Information au sein de la Noosphère, le goulot d’étranglement ultime n’a jamais changé : le Cerveau humain. Déjà pour les peuples premiers, l’intelligence, la mémoire et l’expression orale de chaque individu définissait sa capacité maximale de traitement de l’Information. On pouvait cependant déjà compter sur l’effet du groupe pour faire émerger une capacité de traitement sociale qui soit plus que la somme des capacités des individus. Il était alors peut-être possible, pour des individus compétents, voire peut-être pour la majorité des individus, d’embrasser l’ensemble du savoir d’une culture. En n’oubliant jamais que les membres des sociétés premières avaient le même cerveau que le nôtre, et qu’ils étaient peut-être même plus intelligents que nous en moyenne, étant donné la pression de sélection plus importante.

Mais depuis l’Antiquité, cette forme d’érudition éclectique, courante chez les chasseurs-cueilleurs (qui connaissent les noms et propriétés de milliers d’animaux et plantes, et pouvaient construire tous leurs outils eux-mêmes) ne fut plus réservée qu’aux élites lettrées, puis progressivement qu’à quelques rares génies universels, comme Léonard de Vinci. Aujourd’hui, cela fait longtemps que plus aucun cerveau humain, même parmi les plus puissants, n’est capable d’embrasser, même en surface, la complexité de la Noosphère humaine. Dès l’Antiquité donc, les capacités de stockage et de traitement de l’information par notre cerveau, et donc par l’individu moyen, se sont révélées particulièrement limitées par rapport à la masse d’information disponible.

Face au goulot d’étranglement du cerveau humain individuel, l’Humanité a développé son « cerveau collectif », c’est-à-dire qu’elle a créé des technologies, des organisations et des institutions chargées de collecter, traiter, stocker et diffuser l’information en combinant les capacités de traitement d’un certain nombre de cerveaux humains individuels. On peut évoquer l’invention de l’écriture, du livre, de la bibliothèque, de l’école, de l’administration, de l’université, de la gravure, des voyages éducatifs, de l’université, de l’imprimerie, de l’informatique, d’Internet, de l’IA, etc.

Comme on a développé des ordinateurs qui fonctionnent à partir de la coordination de plusieurs processeurs individuels, on a développé des formes d’organisations humaines qui font travailler ensemble les cerveaux individuels. Aujourd’hui, nos sociétés ont atteint des sommets dans la division et la spécialisation des tâches qui leur permettent de traiter, collectivement, une gigantesque masse d’information, sans qu’aucun individu ne puisse la mémoriser, la traiter et la transmettre. Encore moins la comprendre.

Ici encore, on observe un « décalage prométhéen » tel que conceptualisé par le philosophe Gunther Anders. L’individu humain est de plus en plus sidéré par l’écart insaisissable entre ses capacités limitées et la puissance gigantesque de ses créations collectives, qui l’écrasent totalement. Cela est vrai pour la Science, pour la Technologie, l’Économie et aussi l’Information.

Nous avons vu que notre capacité d’attention est désormais le lieu d’une bataille entre nous et nos créations, avec pour enjeu notre survie, notre vie et notre Existence. En effet, il est facile d’observer que l’immense majorité de l’Humanité n’accorde pas l’attention requise aux urgences existentielles tandis qu’elle dépense la majorité de son intérêt à des futilités.

Notre attention est devenue une marchandise comme les autres dans la Mégamachine capitaliste, encore plus depuis qu’elle est entrée dans une phase néolibérale et transhumaniste. La télévision vendait déjà du « temps de cerveau disponible » aux annonceurs publicitaires. Les réseaux sociaux orientent désormais notre attention via des algorithmes informatiques dont nous ne savons rien ou presque, au point de nous enfermer dans des « bulles informationnelles », des « chambres d’échos » qui filtrent à notre place l’information que nous collectons sur le monde extérieur.

Nous faisons face à un problème de surcharge informationnelle, ou surinformation, ou infobésité d’ampleur civilisationnelle. Cette infobésité provoque des effets catastrophiques sur le bien-être et la santé mentale de milliards d’individus mais aussi sur le vivre-ensemble et la démocratie. Il devient extrêmement difficile pour les information de qualité, et donc pour leurs créateurs, d’émerger au sein de ce maelstrom. Les vidéos de chat ont immensément plus de succès que les philosophes qui travaillent des heures dans l’obscurité pour développer des idées adéquates. Les politiciens, les citoyens, les scientifiques, et les artistes sont broyés par des algorithmes impitoyables. Des États voyous ont développé des divisions entières pour mener une guerre de la désinformation à l’encontre de leur propre peuple et d’autres pays.

Lorsqu’on croise cette surcharge informationnelle avec l’émergence de l’IA et la fonction traditionnelle de l’intellectuel, de la lecture et de l’écriture, on redoute le pire. Si l’Information adéquate est nécessaire à l’Action adéquate, comment pourra-t-on encore penser, parler, écrire, agir, dans une Noosphère aussi toxique ?

Univers, Énergie, Matière, Information, Vie, Humanité, Noosphère, Cerveau, Attention, Technologie, Science, IA, intellectuel, lecture et écriture… voilà un nexus problématique face auquel nous voyons bien que nous avons besoin d’une méthode.




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