Dans mon premier essai Déclarons l’Etat d’Urgence écologique, j’ai essayé de développer, avec mon coauteur Thibault de La Motte, la notion d’Urgence, avec un grand U assumé. L’Urgence est l’urgence des urgences, la plus importante de toutes, car elle porte sur des phénomènes qui menacent l’existence de l’Humanité et de la Vie sur Terre à court terme si nous ne n’agissons pas avec suffisamment de quantité (assez fort), de qualité (assez bien), de vitesse (assez vite) et d’adéquation spatio-temporelle (au bon moment au bon endroit). Pour la définir, il fallait d’abord revenir sur le sens de l’urgence petit u.

Le mot urgence est défini comme suit par le Trésor de la langue française, dictionnaire de référence :

  • Caractère de ce qui est urgent, de ce qui requiert une action, une décision immédiate. « Urgence d’un problème » ; « attendu l’urgence du cas ». « Être dans l’urgence » signifie être dans la nécessité.
  • Nécessité d’agir rapidement. « Il y a urgence. »
    • En droit civil, l’urgence est le « caractère d’un état de fait susceptible d’entraîner un préjudice irréparable s’il n’y est porté remède à bref délai ».
    • En droit public français, on parle « d’état d’urgence » comme un « régime exceptionnel qui, en cas d’atteinte grave à l’ordre public ou de calamité nationale, renforce les pouvoirs de l’autorité administrative. »


Lors de mes recherches sur la notion d’urgence, j’ai été frappé par le fait que ce mot n’avait aucun synonyme. Bien que les termes nécessité, impératif, impérieux et pressant s’en approchent, ils ne transmettent pas le sens combiné de la célérité et de l’enjeu qu’appelle l’urgence.

On voit qu’en droit civil, les notions de préjudice irréparable, de risque, de bref délai et de nécessité d’agir immédiatement sont combinées dans la définition de l’urgence.

On voit que l’urgence porte toujours sur « quelque chose qui a de la valeur » au sens éthique, c’est-à-dire un Bien : une personne ou un groupe de personnes, un être vivant ou un groupe d’êtres vivants non humains, un objet, un bâtiment, un terrain, une information, une réputation publique, etc. C’est parce que ce Bien peut-être détruit en tout ou partie, qu’on peut parler de préjudice.

Une dimension d’irréversibilité est présente, le préjudice sera irréparable à jamais ou du moins pour une période de temps arbitrairement longue.

La notion de risque présente dans celle d’urgence reflète l’incertitude qui règne dans le Réel. Dans la plupart des cas, on pourrait estimer que le préjudice, son irréparabilité, sa probabilité, le délai de réalisation du préjudice, la nécessité d’agir et le délai d’action sont incertains, ne sont pas certains à 100%. Pourtant, le caractère d’urgence est bien présent. Une personne qui nage à proximité du rivage crie au secours. Il y a d’évidence une urgence. Pourtant il se pourrait que la personne s’en sorte finalement seule.

La temporalité est essentielle pour saisir la dynamique de l’urgence. Elle se situe en deux endroits : le délai de réalisation du préjudice et le délai d’intervention pour l’éviter. L’urgence signifie littéralement une course contre la montre entre deux dynamiques temporelles : la dynamique du préjudice et la dynamique de son évitement. Si la course est perdue, le préjudice se réalisera en tout ou partie.

Le préjudice peut être en cours de réalisation, en voie de réalisation ou bien déjà réalisé, en tout ou partie. Bien qu’un préjudice totalement réalisé éteigne logiquement l’urgence. Il est alors « trop tard ». La personne est morte, la maison est en cendres, l’information est perdue. Mais il arrive alors fréquemment qu’une nouvelle urgence émerge immédiatement. D’autres personnes pourraient mourir des mêmes causes, le feu pourrait se propager à d’autres maisons, d’autres informations pourraient être perdues.

La situation d’urgence résulte d’un état de fait, auquel il doit être mis fin à bref délai. Un phénomène se produit, et il est nécessaire que quelqu’un agisse immédiatement -ou du moins rapidement- pour faire cesser ce phénomène, afin de prévenir le préjudice, de le contenir, d’y mettre fin, de traiter ses conséquences. Une urgence non traitée -ou non traitée à temps- peut en créer de nouvelles, en cascade.

L’enjeu, le bien, la valeur menacée par la situation d’urgence peut avoir une importance relativement élevée ou pas : l’objet peut être détruit, l’argent peut être volé, l’animal peut être blessé, le bâtiment peut s’effondrer, la personne peut mourir, l’armée peut être vaincue, le peuple peut disparaître en tant que peuple, etc. Mais en général, on parle d’urgence pour des enjeux de valeur importante. On parle peu d’urgence pour retirer une casserole qui déborde du feu.

On parle d’urgence existentielle pour les urgences les plus graves, celles qui concernent la vie humaine et non humaine, ou des organisations et des institutions jugées essentielles.

Cette notion est à rapprocher de celle de risque existentiel, ou de risque catastrophique global, pour les échelles de préjudice les plus importantes dans le temps et l’espace.


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