Situation n°1 : l’État a-t-il déclaré l’Urgence écologique durant cette législature ?


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Un jour de mars 2024, train entre Charleroi et Bruxelles. Nous sommes à moins de 3 mois des méga-élections 2024. Les records absolus de température pour la saison, locaux et mondiaux, continentaux et océaniques, sont battus jour après jour, dans l’indifférence la plus totale. L’Écocide -l’écocide planétaire donc avec un grand É- se poursuit, nous restons sur la même trajectoire mortelle pour l’Humanité et la Vie sur Terre.

Pour ma part, j’ai décidé de regarder cette catastrophe bien en face, en toute lucidité, contrairement à, semble-t-il, la majorité de mes contemporains. Cela ne signifie pas qu’ils ne voient rien mais cela signifie selon moi qu’ils ne voient pas la gravité de la situation et l’ampleur de l’action collective nécessaire pour y remédier sans attendre. Éveillés, ils dorment.

J’ai le sentiment qu’il n’y a pas vraiment de campagne électorale. Qu’il s’agit d’une non-campagne. Est-ce moi qui suis complètement déconnecté de ce qui préoccupe les gens ou bien mon sentiment est-il largement partagé par la population, complètement indifférente aux gesticulations des politiciens ? L’électorat est-il dépolitisé ou dégoûté ? Ou bien suis-je trop conscient que les thèmes de campagne mobilisés sont complètement mineurs, à côté de la plaque, face à l’urgence écologique qui va tout balayer, même les guerres ?

Alors que l’Écocide est le sujet le plus important -l’habitabilité de la planète pour toute forme de vie, y compris humaine-, il est manifeste qu’il n’est pas au centre des débats de campagne. On évoque le coût de la vie, de l’alimentation, les difficultés des agriculteurs, tel ou tel micro scandale, les banalités de la préparation des listes électorales, les egos des candidats vexés au sein de leurs partis… La montée de l’extrême droite partout dans le monde terrorise les démocrates. On prévoit une vague brune lors du vote. On pourrait avoir un alignement de dictateurs et apprentis dictateurs dans le monde. On évoque le risque d’aggravation et d’extension de la guerre. Des intellectuels de haut vol font régulièrement référence au climat pré-catastrophique des années 1930.

Éveillés, nous dormons. Je partage cette impression d’années 30, d’esprit de Munich, où nous avançons à reculons vers les pires horreurs, parce que nous échouons à faire ce qui doit être fait, en matière démocratique, en matière écologique, en matière géopolitique.

Fauter de déclarer l’Urgence écologique et la mobilisation générale pour se hisser à sa hauteur, l’État, garant du contrat social, c’est-à-dire de la protection de l’existence et de la liberté des citoyens, faillit à sa mission. Parce que les citoyens, garants de l’État, faillissent à leur mission.

Pourtant, l’État a su répondre, même maladroitement et imparfaitement, à certaines urgences existentielles mais de degré moindre que l’Écocide. Cette législature a été historique a plus d’un titre : une pandémie qui a écourté la vie de millions de gens et ébranlé l’économie mondiale, la prise de conscience du retour de la guerre sur le continent européen (la guerre avait déjà commencé en Ukraine bien des années avant mais nous étions dans le déni), une crise énergétique mondiale, un massacre de personnes juives inédit depuis la Shoah, et un massacre et une guerre d’une asymétrie extrême en Palestine, et d’innombrables catastrophes climatiques et environnementales partout dans le monde, y compris dans les pays les plus riches.

Pour ces raisons, on pourrait vouloir absoudre les gouvernements de tous les niveaux de pouvoir d’avoir échoué à résoudre nos problèmes existentiels structurels. Les urgences à court terme ont supplanté les urgences à long terme. La pandémie, la crise économique, la crise énergétique, les inondations en Wallonie, la guerre en Ukraine. Les gouvernements « auraient fait ce qu’ils ont pu » et « s’en sont pas trop mal sortis ». Autrement dit nous devrions leur octroyer notre indulgence en tant que citoyens, et même un satisfecit.

Je ne partage pas cet avis. Je déteste cette « bonhommie » politicienne et citoyenne malheureusement trop courante en Belgique, surtout en Wallonie. La satisfaction de la médiocrité, le sauvetage de meubles ne tient pas lieu de vision, de stratégie, de politique. L’urgence exige un autre type de femme et d’homme politique. Mon sentiment est que cette législature n’aura avancé significativement ET décisivement dans aucun de ces problèmes existentiels structurels : climat, démocratie, enseignement, efficacité des pouvoirs publics, inégalités, pauvreté, pollution, montée de l’extrémisme. Sans parler d’autres problèmes en apparence moins existentiels : pensions, fiscalité, recherche, migration, criminalité organisée… Mon sentiment est que cette législature, par ses manquements, aura été irresponsable et criminelle.

J’ai publié début 2020 mon premier essai, avec Thibaut de La Motte, intitulé « Déclarons l’État d’Urgence écologique ». État grand É, Urgence grand U, ce qui distingue totalement notre propos de « l’état d’urgence » classique, pour des catastrophes naturelles en démocratie, ou pour installer la dictature dans des régimes autoritaires. Notre essai a été présenté au salon du livre 2020, un des derniers grands événements publics avant le premier lockdown, le premier confinement, le plus important. Sans doute la sortie d’un premier ouvrage la plus malchanceuse de l’histoire ! L’appel était simple : reconnaître officiellement la situation d’urgence écologique, scientifiquement objective, à tous les niveaux politiques (résolutions, lois, accords de gouvernements, déclarations de chefs de gouvernement, etc.), et hisser l’État, dans toutes ses compétences, à la hauteur de cette urgence écologique, en organisant la mobilisation générale de tous les citoyens, tous les pouvoirs publics, toutes les entreprises et associations. Il s’agissait de refonder un État d’Urgence, un État capable de se hisser à la hauteur de l’urgence écologique existentielle, comme seule manière d’éviter les petits « états d’urgence » antidémocratiques et illibéraux, inexorables si l’État démocratique échouait.

Aujourd’hui, 4 ans plus tard, je pense que rien de tout cela n’a été fait, à aucun niveau de pouvoir. Et que l’État démocratique est en péril faute d’avoir conservé sa crédibilité.

Je pense que ceux qui minimisent la gravité de l’Urgence se trompent et que ceux qui pensent que « nous faisons le nécessaire » se trompent également. Quant à ceux qui pensent que nous faisons « ce que nous pouvons », il se trompent encore plus lourdement. Inconscience, déni, euphémisme, minimisation, illusion, délire coupables et criminels règnent en maître.

La maison brûle, et nous continuons à regarder ailleurs. Notre maison la Terre, notre maison la Vie, notre maison la Démocratie.

Je prends à témoin mes proches et mes enfants que j’ai tout fait, depuis le rapport spécial du GIEC en 2018, avec mes maigres forces, selon mon profil, avec une minorité d’activistes de tous les milieux et à qui je rends hommage, pour inverser cette tendance.

Sans succès jusqu’à présent.


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