Commentaire n°22 : Face à l’Écocide, que vaut l’argument du « On n’a pas le temps d’abolir le capitalisme » ?


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Ces dernières années, j’ai entendu plusieurs personnes intelligentes, engagées et progressistes émettre le même argument générique face à la proposition d’ »abolir le capitalisme » : « on n’a pas le temps ! »

Ce « on n’a pas le temps » signifiait assez clairement qu’ »abolir le capitalisme » n’était pas une option stratégique crédible face aux objectifs généraux des progressistes, c’est-à-dire une option ni possible, ni nécessaire, ni efficace, ni efficiente.

Eh bien, je pense que toutes ces personnes intelligentes, engagées et progressistes se trompent lourdement. Du moins, si je concède d’affaiblir mon propos pour inviter à un réexamen de la question, je pense que toutes ces personnes intelligentes, engagées et progressistes ont lourdement tort d’être aussi convaincues d’avoir raison.

Voici pourquoi.

Commençons par le début. Pourquoi vouloir abolir le capitalisme ? Cela mérite un mot d’explication. Pour certains penseurs, politiciens, militants et activistes, aujourd’hui et depuis l’émergence de la critique anticapitaliste au XIXe siècle, abolir le capitalisme est impératif pour sauver l’Humanité 1) de l’Écocide, c’est-à-dire la destruction de l’habitabilité planétaire et donc l’effondrement voire l’extinction de l’espèce humaine, 2) de la misère, des discriminations et de l’aliénation, c’est-à-dire des ravages des inégalités sociales et économiques, 3) de l’autoritarisme, de la dictature et du totalitarisme, c’est-à-dire de la destruction de la démocratie. Depuis le philosophe et économiste Karl Marx (1818 – 1883), une critique constante (Rosa Luxembourg, Jean Jaurès, Jean-Paul Sartre, Cornelius Castoriadis, Karl Polanyi, Hannah Arendt, Edgar Morin, Frédéric Lordon, Paul Jorion, Jason Hickel, etc.) fait en effet du capitalisme une des causes principales, si pas la cause principale de ces trois ensembles de fléaux existentiels (environnementaux, socio-économiques et démocratiques). Cette critique constante conclut donc très logiquement que, pour mettre fin à ces fléaux, « nous devons abolir le capitalisme ». Face à cette conclusion logique, les personnes intelligentes, engagées et progressistes que j’évoque ont pourtant toutes émis le même argument, dans l’intention de clore le débat : « on n’a pas le temps d’abolir le capitalisme ».

J’ignore évidemment si l’histoire jugera ces personnes contemporaines comme « plus intelligentes, engagées et progressistes » que l’illustre liste d’anticapitalistes de génie que je viens de citer mais j’ai quelques raisons d’en douter.

Il y a beaucoup de sous-entendus derrière l’argument du « on n’a pas le temps d’abolir le capitalisme », qu’il importe de rendre explicites.

Premièrement, il n’est émis que par des individus et des groupes qui peuvent reconnaître, dans une certaine mesure, le bien-fondé d’une partie au moins de la critique anticapitaliste. Je ne l’ai jamais entendu de la bouche des néolibéraux, des libéraux ou des centristes, c’est-à-dire des capitalistes fiers de l’être.

Deuxièmement, il est émis par des individus et des groupes qui ont malgré tout abandonné implicitement ou explicitement -et souvent ils s’en défendent sournoisement- la lutte anticapitaliste, la visée de son abolition et de son dépassement ultime (le post-capitalisme). Je l’ai en effet entendu de la bouche de socio-chrétiens, de socialistes et d’écologistes. Un rapide coup d’œil aux manifestes et aux programmes électoraux des partis de même idéologie, mais surtout l’inventaire rigoureux de leur discours public, encore plus leurs revendications et actions concrètes lorsqu’ils sont au pouvoir ou dans l’opposition, suffit pour se convaincre que l’anticapitalisme n’est plus revendiqué sérieusement par eux, autrement que comme un exercice de style emphatique lors des discours de 1er mai, des congrès et autres séminaires pour militants et idéologues.

Troisièmement, je ne l’ai pas non plus entendu de la bouche des communistes -qui partagent ce point commun avec les néolibéraux, les libéraux et les centristes !-, qui affichent toujours officiellement leur anticapitalisme dans leurs manifestes, événements, programmes et certaines propositions, même si certains d’entre eux, notamment en Chine, ont pourtant mis en place ce qu’on peut légitimement appeler un « capitalisme d’État », n’ayant plus d’ »anticapitaliste » que le nom, et même si souvent le programme électoral ressemble plus à un ersatz du fameux Manifeste du Parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels (1820 – 1895). Chez ces anticapitalistes plus assumés -mais pas autant qu’au XIXe siècle et au XXe siècle, l’argument devient même complètement renversé par rapport aux personnes « intelligentes, engagées et progressistes » que j’évoquais supra. De manière tout aussi caricaturale il devient monomaniaque : « le capitalisme est la cause de TOUS nos maux et l’abolir réglerait TOUS nos problèmes ».

Quatrièmement, cet argument sous-entend que vouloir abolir le capitalisme est une visée pertinente et légitime en théorie mais qu’une menace plus urgente place cette visée au second rang des priorités en pratique. Il y a donc une priorisation stratégique temporelle des options, vu les urgences effectives, qui rend l’option stratégique « abolir le capitalisme », nulle et non avenue car impossible dans le réel actuel.

Cinquièmement, cet argument repose sur une concession rhétorique, celle selon laquelle « abolir le capitalisme est pertinent, légitime ET possible a priori ». Autrement dit, on n’exclut pas ce scénario pour un motif d’infaisabilité a priori -toutes choses égales par ailleurs- mais pour un motif contingent : « en théorie oui c’est possible mais dans le cas présent, dans les circonstances actuelles, on n’a plus le temps, désolé ! »

Sixièmement, cet argument est souvent accompagné d’affects d’empathie paternaliste du style, « ha je suis bien d’accord avec toi que le capitalisme est vraiment une saleté, je suis d’accord avec toi, moi aussi je voudrais l’abolir, mais que veux-tu ? nous n’avons pas le temps… vu l’urgence de la situation, nous devons être réalistes, pragmatiques, et nous concentrer sur les vrais problèmes, sur les vrais urgences… et faire avec le capitalisme. On l’abolira plus tard, c’est une lutte de plus longue haleine ». Certains, encore plus empathiques et paternalistes, diront même « rien n’empêche de conserver l’objectif d’abolir le capitalisme à long terme ! Lorsque nous aurons répondu à l’urgence actuelle, nous pourrons nous reconcentrer sur cet objectif séculaire mais à court terme, on doit faire avec, désolé ! »

Septièmement, cet argument, lorsqu’on pousse son interlocuteur dans ses retranchements, le mène régulièrement à des ricanements ironiques envers son proposant : « ah oui, on abolit le capitalisme demain ? D’accord ! A quelle heure ? On se donne rendez-vous où ? Tu as un plan d’action ? » Ironique tient si l’interlocuteur a raison. Cynique serait plus adéquat si l’interlocuteur a tort.

Quelle est cette menace actuelle plus urgente qui exige qu’on mette de côté la lutte anticapitaliste ? Quelle est cette menace plus urgente qui rende la grande majorité des progressistes (et leurs représentants intelligents et engagés), pourtant peu adeptes du capitalisme, adhérents -forcés et contraints mais pragmatiques- de ce « mal nécessaire » ?

C’est souvent l’Écocide, c’est-à-dire la destruction de l’habitabilité planétaire, qui autorise ces interlocuteurs à écarter l’option de l’abolition du capitalisme comme une diversion dangereuse (comme nous l’avons vu, nous pouvons regrouper sous l’Écocide toutes les urgences écologiques, climatiques, environnementales ainsi que toutes les menaces existentielles à la survie de l’Humanité comme les armes de destruction massive, l’intelligence artificielle, les biotechnologies et nanotechnologies à potentiel disruptif, etc.).

La logique interne de cet argument est donc la suivante : le temps qu’il nous reste pour empêcher, ou du moins minimiser, l’Écocide est plus court que le temps nécessaire pour abolir le capitalisme. On parle ici du temps minimum nécessaire pour abolir le capitalisme. Autrement dit, consacrer nos efforts et notre temps à l’abolition du capitalisme serait vain car l’habitabilité planétaire serait détruite avant qu’on ait atteint cet objectif. Or si l’habitabilité planétaire est détruite, du moins en grande partie, avoir aboli le capitalisme peu après cette destruction paraît effectivement une victoire particulièrement vaine. En outre, cette lutte anticapitaliste serait irrationnelle car elle détournerait des ressources et du temps précieux d’une lutte plus urgente que nous ne sommes même pas certains d’avoir le temps de mener à bien, la lutte contre l’Écocide.

Cet argument repose donc sur le postulat qu’il y a une alternative logique, impérative, nécessaire entre « abolir le capitalisme » et « empêcher l’Écocide », c’est-à-dire qu’ « on ne peut pas faire les deux dans le Réel actuel ». Et sur le postulat que, vu l’urgence d’empêcher l’Écocide et le peu de temps qu’il nous resterait pour le faire, on doit « faire avec le capitalisme » puisqu’ »on n’a pas le temps de l’abolir ».

De multiples variantes existent à cet argument, il suffit de remplacer « l’Écocide » par toute autre « urgence » jugée « plus urgente » que l’abolition du capitalisme et d’ajouter une foule de réserves mineures ou majeures. De manière intéressante, on peut alors rejeter l’abolition du capitalisme pour une foule de raisons : on doit d’abord résoudre le problème de la sécurité dans le monde (guerre, terrorisme, violence), on doit d’abord s’occuper des minorités, des discriminations, des pauvres, des pensionnés, des jeunes, on doit d’abord sauver la démocratie, etc. C’est trop cher, on ne sait pas comment faire, cela risque de déstabiliser l’économie, les marchés internationaux ne le permettraient pas, nous n’avons pas de système alternatif, les gens ne voteront pas pour ça, nos partenaires de coalition n’en veulent pas, etc. Bref, ce n’est pas le plus important ou bien c’est impossible ou trop coûteux.

Mais il faut bien l’avouer, ces manœuvres dilatoires sont moins fortes que l’argument de la lutte contre l’Écocide. Sur le papier, cet argument est celui qui a le plus de gueule pour justifier de différer la lutte anticapitaliste. Pour paraphraser des formules fameuses, « il n’y a pas de lutte anticapitaliste sur un désert écologique ». A fortiori, si l’espèce humaine s’effondre ou disparaît, il n’y aura plus beaucoup d’intérêt pour la lutte anticapitaliste sur cette planète, pour la simple et bonne raison que le capitalisme se sera effondré avec les écosystèmes planétaires et l’espèce humaine (et sans doute bien avant).

Certains ne le diront pas tel quel mais pour eux, ce n’est pas tant le manque de temps que le caractère impossible de l’abolition du capitalisme qui leur fait écarter cette option. Après deux siècle durant lesquels le capitalisme a recouvert l’entièreté de la planète (ou presque), vaincu tous les penseurs, acteurs, groupes et sociétés anticapitalistes, et détermine quasiment la totalité des 8 milliards d’êtres humains qui la peuplent, ils ne conçoivent même plus qu’ »abolir le capitalisme » fasse encore partie des énoncés rationnels.

Cet argument mène donc à rejeter toute la pensée et la politique anticapitalistes comme étant de dangereuses diversions des maigres ressources et du temps dont nous disposons pour (essayer d’) empêcher l’Écocide, ou d’autres luttes plus ou moins importantes.

On voit donc bien le côté « raisonnable » de cet argument a priori. Et on comprend qu’il génère chez ceux qui l’emploient cette espèce d’empathie paternaliste envers les anticapitalistes, vus comme de gentils idéalistes -donc manquant de réalisme, de pragmatisme, de lucidité- sympathiques certes mais dont il faut réfuter catégoriquement la dangereuse opinion, qui nous détourne des « vraies priorités ». On comprend aussi qu’il mène certaines personnes « intelligentes, engagées et progressistes », poussées dans leurs retranchement par un anticapitaliste authentique et sérieux, qui a fait ses devoirs et qui est capable de contre-argumenter, sur les épaules des géants dont nous n’avons cité que quelques noms supra, à sortir du débat de fond pour entrer dans tous les stratagèmes de l’Art d’avoir toujours raison énumérés fameusement par le philosophe Arthur Schopenhauer (1788 – 1860). Attaques ad hominem, attaques ad personam, arguments fallacieux, hyperbole pour rendre caducs des arguments raisonnables, sophismes, mauvaise foi, etc. Tout y passe qui permet à ladite personne « intelligence, engagée et progressiste » de ne pas devoir envisager l’hypothèse pénible que, si, abolir le capitalisme est peut-être nécessaire, voire suffisant, pour résoudre la plupart des problèmes que les progressistes se piquent de vouloir résoudre.

Ainsi, l’auditoire sera conquis par des stratagèmes rhétoriques comme celui qu’une des ces personnes « intelligentes, engagées et progressistes » m’a décrite assez fièrement -et je tairai son identité par charité chrétienne- : « j’ai demandé aux personnes dans l’assemblée de lever la main si elles pensaient que nous avions encore le temps d’empêcher la catastrophe climatique -un certain nombre de mains se sont levées- ; puis j’ai demandé à l’assemblée si nous avions le temps d’abolir le capitalisme avant de subir la catastrophe climatique -et encore moins de mains se sont levées…- (s’ensuit un silence éloquent) » CQFD les amis ! La démonstration est ainsi faite qu’abolir le capitalisme n’est pas une option stratégique crédible. La fin du monde paraît plus plausible que la fin du capitalisme. Un vote à main levée en séance en témoigne. Circulez y a rien à voir.

Après avoir tenté de cerner les contours de cet argument, je vais maintenant le réfuter point par point, en usant d’abord du principe de parcimonie logique dans ma démonstration, c’est-à-dire que je vais me contenter du plus petits nombre d’arguments possible pour le démolir. Ensuite, j’ajouterai d’autres arguments qui ajoutent quelques clous dans le cercueil de ce slogan anti-anticapitaliste chez les vrai-faux progressistes de salon. Cela fera l’objet de prochains billets.

Mais pour éviter au lecteur « intelligent, engagé et progressiste » une nausée anticapitaliste dont il n’a que peu l’habitude, je vais me contenter pour finir ce billet de lister les conditions pour que l’argument anti-anticapitaliste soit recevable, ainsi que quelques autres pistes de réflexion.

Pour que la proposition « on n’a pas le temps d’abolir le capitalisme » soit vraie, il faudrait avoir démontré 1) qu’il reste encore assez de temps pour empêcher la destruction de l’habitabilité planétaire par une Métamorphose (transition écologique juste et démocratique) (sans quoi, le capitalisme sera aboli de facto, par par les humains mais par Gaïa), 2) qu’abolir le capitalisme n’est pas nécessaire pour empêcher la destruction de l’habitabilité planétaire, 3) qu’abolir le capitalisme n’est pas suffisant pour empêcher l’Écocide, 4) qu’abolir le capitalisme n’est pas une option efficace et efficiente d’un mixte politique d’options complémentaires pour empêcher l’Écocide, 5) en corolaire, qu’un capitalisme existe(ra) qui serait compatible avec a) les limites planétaires, b) l’égalité et la prospérité, c) la démocratie et la liberté, 6) en corolaire, qu’un capitalisme existe(ra) qui sera un précieux allié dans la lutte contre l’Écocide, 7) que le temps nécessaire pour réussir la Métamorphose (ou transition écologique juste et démocratique) est plus court que le temps nécessaire pour abolir le capitalisme.

Notons qu’il y a aussi plusieurs gradations dans l’argument : 1) abolir le capitalisme est un détour qui risque de nous empêcher d’éviter l’Écocide 2) le capitalisme est un mal nécessaire pour éviter l’Écocide 3) le capitalisme est un outil splendide et indispensable pour éviter l’Écocide.

Notons aussi simplement que cet argument peut être vrai … sauf si abolir le capitalisme est strictement nécessaire pour empêcher l’Écocide (pour minimiser le Mal, pour éviter les pires scénarios). Disposons-nous d’une démonstration suffisante que cela est le cas ? Car l’argument temporel ne tient pas face à l’argument de nécessité : ce n’est pas parce que le malade va mourir dans 5 minutes d’un poison mortel et que le contrepoison met 6 minutes à agir qu’un médecin doit renoncer à administrer ce contrepoison n’est-ce pas ? La nécessité ne prime-t-elle pas sur la temporalité, surtout quand cette temporalité est radicalement incertaine ?

Notons ensuite à nouveau que cet argument peut être vrai … sauf si -même si abolir le capitalisme n’est pas nécessaire- abolir le capitalisme est suffisant et fait partie des options les plus efficaces et efficientes, ou … n’est pas suffisant mais fait partie du mixte d’options les plus efficaces et efficientes.

Abolir le capitalisme serait impossible, non nécessaire, un détour qui nous empêcherait d’atteindre la destination à temps, non efficace et non efficient ?

Cet argument repose, en miroir, sur le postulat que le capitalisme peut être suffisamment régulé pour empêcher l’Écocide.

Un autre postulat encore plus fort est que le capitalisme serait « notre meilleur allié » face à l’Ecocide. Ceci repose sur une vision évidemment techno-optimiste … le capitalisme permettant de « produire en masse des technologies vertes » salvatrices. Il faudrait raconter, par un « twist » dont seuls les thrillers américains ont le secret, comment le capitalisme, qui a tout détruit de manière documentée, va désormais tout sauver. On doit également croiser cette discussion avec celle relative à l’émergence de l’IA. L’IA a en effet le potentiel d’être un phénomène de rupture dans le continuum historique du capitalisme.

Notons également que cet argument convient parfaitement aux capitalistes. Il permet d’unir des anticapitalistes « sur le papier », des anticapitalistes « de salon », avec des capitalistes « fiers de l’être ». Les anticapitalistes de conviction, les « utopistes » qui jugent qu’il n’y aura aucun respect des limites planétaires, sociales et humaines DANS le capitalisme, seraient donc minorisés par une majorité de « réalistes » qui aiment le capitalisme, pensent qu’il faut faire avec ou qu’on doit le laisser tranquille le temps de réaliser la transition écologique.

Elargissons cette attitude du « on n’a pas le temps de x ou y » à d’autres grands suspects de tous les maux, autres que le capitalisme, comme le patriarcat, le productivisme, le consumérisme, l’impérialisme, l’extractivisme, l’étatisme, l’illimitisme, l’occidentalisme, l’industrialisme, le néolibéralisme, le transhumanisme, l’économisme, la propriété privée, le rationnalisme, le réductionnisme, etc. Notons comment l’argument du « on n’a pas le temps » peut être facilement élargi à toute proposition d’abolir un élément essentiel de la Mégamachine, jugé « grande cause coupable de ».

Pousser certains arguments à leur limite conduit enfin à des ruptures de définition dans les termes. Admettons qu’on puisse réguler le capitalisme au point de résoudre le problème de l’Écocide. Admettons que le poison d’hier devienne le contrepoison de demain, par un twist digne d’un thriller américain. Si on régulait le capitalisme au point qu’il respecte les limites planétaires, sociales et humaines, donc, serait-il encore le capitalisme ? On peut sérieusement en douter. Et au fond, de quoi parle-t-on dans le capitalisme ? Propriété privée, rapport salarial, maximisation du profit, accumulation du capital, valeur marchande (d’échange), productivisme… Quelle serait une bonne définition du capitalisme ? Quels sont les ingrédients du capitalisme qu’il faudrait supprimer pour l’abolir en tant que système écocidaire ? Nous en parlerons ailleurs. Doit-on ici comprendre que les personnes « intelligentes, engagées et progressistes » sont plus malines que votre serviteur, en ne disant pas les lettres de celui-dont-on-ne-peut-prononcer-le-nom ? Sont-ce des anticapitalistes déguisés en indifférents-capitalistes ? Font-elles le pari que le capitalisme s’abolira par la bande, sans que jamais on ne formule une vision et une stratégie explicitement anticapitalistes ? La Ruse de la Raison de Hegel (1770 – 1831) est-elle à l’œuvre chez ces anti-anticapitalistes pourtant progressistes ? Va-t-on vers une abolition du capitalisme feutrée, « sans l’avouer », sans révolution d’aucune sorte ? On a parfois entendu ce propos du « ne nous attardons pas sur les mots en -isme et arrêtons l’écocide, on verra bien ensuite ce qu’il reste des -ismes » chez des penseurs comme Aurélien Barrau, par exemple.

On le voit, à nouveau, pour la plupart des gens, mêmes les personnes « intelligentes, engagées et progressistes », il reste plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Ce qui reste un profond motif d’étonnement à mes yeux.

Nous en reparlerons car j’espère qu’au moins, ces personnes « intelligentes, engagées et progressistes », ne pensent pas que « on n’a pas le temps de penser et de remettre en cause la stratégie et le discours ».

Karl Marx en 1874

John Jabez Edwin Mayall — Institut international d’histoire sociale

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