Intervention n°1 : les premières Rencontres Elisée Reclus – 25 novembre 2023 – Bruxelles




J’ai eu le plaisir d’être invité comme orateur et paneliste aux premières rencontres Elisée Reclus ce 25 novembre 2023 au campus du Solbosch de l’Université libre de Bruxelles. J’accompagnais l’anthropologue Paul Jorion, l’économiste Bruno Colmant, Grégory Berthet, membre de la direction de Credal, Louka Benabid et Jeanne Schuster, membres de Rethinking Economics ULB, l’entrepreneur Jacques Crahay et l’animation était prise en charge par la journaliste Catherine Haxhe.

Je remercie Patrick Dumont, Eddy Kay et Roland Moreau de m’avoir permis de participer à ces rencontres et de continuer à m’y associer.

Pour en savoir plus sur Elisée Reclus, personne trop méconnu mais très important dans l’histoire de la géographie, de l’écologie et de l’anarchisme, ainsi que dans l’histoire de l’ULB.

Pour en savoir plus sur les Rencontres Elisée Reclus.

Texte de mon intervention comme orateur :

Cédric CHEVALIER : Merci à vous, merci d’être si nombreux et merci pour votre accueil. Effectivement, bon, moi, je suis un peu comme le gouda, je suis mi-jeune mi-vieux et donc je ne sais pas où je vais me caser. Je suis entre les générations mais effectivement la jeunesse, bon, moi je trouve qu’on met trop la pression sur la jeunesse. Si vous regardez la pyramide démographique dans les démocraties et dans la plupart des pays du Nord, on va dire, la Chine compris, en fait, le corps électoral principal – mais là je ne veux pas parler de la Chine puisqu’il n’y en a pas – mais ce sont surtout des personnes qui ont plus de 40 ou plus de 50 ans donc il ne faut pas trop non plus <mettre> de pression sur les jeunes qui malheureusement en termes de force électorale sont minoritaires. Et c’est bien ça le drame, c’est-à-dire qu’ils vont être majoritaires dans le futur en termes de poids électoral futur mais dans le présent, ils sont minoritaires. Donc en fait, ils subissent un préjudice intertemporel qui est gravissime : il faut bien le conscientiser. Voilà, je voulais dire ceci.

Alors donc, j’ai bien aimé l’introduction d’Eddy Kay… Voilà moi je vous avoue très humblement <que> je ne comprends pas ce qui se passe ; je ne sais pas quel est le problème, euh, et je ne sais pas non plus quelle est la solution. (rires) Voilà, je vais vous dire – je vais aller plus loin – je ne sais pas exactement qui je suis (rires) et c’est vrai, c’est vrai, je veux dire, c’est ça, c’est un mystère et je dois dire <que> je ne sais pas exactement qui vous êtes (rires). (…) …mais c’est pour vous dire qu’on est en face à un problème qu’en sciences on appellerait un super wicked problem ( ?)… donc c’était un problème pernicieux, un problème pernicieux. C’est un problème en fait <parce que> parfois on ne sait même pas qu’il y a eu un, on ne sait pas le définir, on a du mal à le diagnostiquer et on a du mal à identifier des solutions donc même le langage commence à échouer et à penser face à l’ampleur, à la taille, et cetera… Donc Günther Anders, un philosophe qui avait écrit notamment l’Obsolescence de l’homme suite à l’explosion de la première bombe nucléaire, a parlé du décalage prométhéen – donc Prométhée, c’est ce personnage mythologique qui avait volé le feu aux dieux, je pense, et donc c’était un peu, pour les Grecs anciens, le début de la technologie. Et donc le décalage prométhéen, ça veut dire que nous sommes vraiment, nous, les individus, même les groupes, on est tout petit et on fait face à un problème gigantesque qu’on a vraiment du mal à comprendre et qu’il est très difficile de penser.

Voilà alors, <c’est un schéma> très classique : donc situation, diagnostic, proposition. Voilà je vais faire dix minutes. Pour moi, la situation, c’est l’Écocide, avec un grand E : ça veut dire qu’il y en a un et pour notre espèce, on en aura qu’un seul donc. Soit on l’arrête, soit il n’y aura plus d’espèce humaine. Je vais <être> très clair : ça, c’est de l’écologie de base. Si l’écosystème <c’est-à-dire> l’habitat, la niche écologique de l’espèce, disparaît, que cette espèce ne peut pas en trouver une autre, donc par exemple sur une autre planète, euh, ou ailleurs, dans un endroit qu’on ne connaît pas, qui n’existe pas mais donc l’espèce, elle disparaît. C’est vraiment l’écologie, la science écologique de base. Donc cet écocide, ça signifie quoi ? Oikos <en grec ancien>, c’est la maison et –cide, c’est du latin, cela veut dire tuer. Et en fait, oui, cette maison-là, on peut la tuer, parce que notre maison <oikos> est vivante : c’est la biosphère donc on peut la tuer et on le fait déjà, en fait. Pour une belle partie des espèces vivantes, <on a> détruit les écosystèmes et ça, c’est ce qui est en train de se passer. Alors moi, je considère que c’est écocide et cet écocide, c’est un génocide. À nouveau, je vais être très logique et très étymologique : donc génocide <est composé de> genos, c’est-à-dire une race, une espèce d’un genre et ici on a un massacre de milliers d’espèces donc pour le moment, ça a une ampleur de génocide mais plus large que la notation classique <de genos> qui s’adresse uniquement à la sphère humaine, c’est-à-dire <que> ça devient un biocide alors du coup, ben, on est en train d’appeler de saccager la vie sur terre.

Alors, le second élément que je veux dire, c’est l’urgence avec grand U. Je mets encore une majuscule parce qu’elle est existentielle : l’espèce humaine et la civilisation, la société, <tout cela> est en jeu. <Pour> la vie sur terre, il y a une incertitude radicale. Je ne vais pas développer, mais ça veut dire que vraiment celui qui dit qu’il connaît le futur, moi, je peux vous dire qu’il se trompe. C’est ma seule certitude : il y a une perte de maîtrise. On a cette idéologie et cette culture de la maîtrise occidentale, mais moi je pense qu’on ne maitrise plus grand-chose aujourd’hui. Donc ça, c’est ce que j’appelle l’urgence grand U. On est entré dans une nouvelle ère <qui> selon les géologues s’appelle <l’Anthropocène> et ils sont en train de valider ça scientifiquement l’anthropocène. On est sorti de l’Holocène sur ces dix mille dernières années où la civilisation humaine a pris un essor avec les sociétés de masse, et moi je vais jusqu’à dire qu’on n’est plus dans une biosphère : on est dans une anthropobiosphère, <c’est-à-dire> dans un système combiné où on ne peut plus vraiment distinguer ce qui était l’ordre du flux naturel entre guillemets du flux humain… Donc les humains déplacent plus de matériaux que les flux naturels aujourd’hui et il y a plus de biomasse dans les animaux d’élevage que dans les animaux sauvages. Donc moi je considère, voilà, je continue mon raisonnement au risque de choquer mais c’est aussi le but de ces rencontres, que notre économie est a caractère écocidaire de facto puisqu’elle détruit notre maison et comme cette économie était tolérée par notre société jusqu’à présent, eh ben, je considère que notre société a un caractère écocidaire. Je relie ça éthiquement à une société génocidaire. Ça ne fait pas plaisir de l’entendre et moi, ça ne me fait pas plaisir de dire que je fais partie d’une société génocidaire mais si vous reliez les pointillés, il est difficile d’échapper à ce raisonnement.

Alors le diagnostic : pourquoi on est là-dedans ? Comme je l’ai dit, moi je ne le sais pas exactement. Il y a deux siècles de littérature critique sur le capitalisme. Euh tous les mots en isme en général, ça fait un faisceau de causes systémiques : impérialisme, colonialisme, extractivisme, consumérisme, productivisme, capitalisme, néolibéralisme et maintenant on a un nouvel avatar mais qui pour moi est dans la même lignée, c’est le transhumanisme en tout cas sous certaines formes… et moi je résume tout ça <pour dire que> c’est l’illimitisme, <c’est-à-dire> le refus presque métaphysique et psychologique donc inconscient de la limite. Il y a, je pense, ce refus <de la limite> qui est dans la société occidentale mais aussi maintenant on voit bien que ça se développe aussi dans les sociétés orientales, en Afrique et cetera. On est en quelque sorte aliéné : le mot aliéné vient quand même aussi du marxisme donc c’est très intéressant qu’on pense ce que cela veut dire. Alienus, en latin, c’est l’étranger donc on est face au fait <qu’>on devient étranger à nous-même ; on devient étranger au vivant ; on devient étranger au monde et le monde est en train de nous devenir étranger. Mais ça, ça ne va pas ! Mais il y a cette espèce d’illusion d’impuissance qui est à la fois vraie et fausse <c’est-à-dire> qu’on a l’impression qu’on ne sait plus rien faire et que les gouvernements, les politiques, n’ont plus de levier. Il y a une inertie or il faudrait passer à l’action et paradoxalement l’action peut être la plus urgente, c’est la non-action, c’est-à-dire que je pense que nous avons un métabolisme économique donc une agitation économique qui est complètement excessive et impossible à supporter dans les limites planétaires. Il faut qu’on se calme et donc c’est un peu l’idée de décroissance, mais il ne faut pas être dans une décroissance naïve : il y a un ralentissement, une réduction de voilure, un réaménagement, une réaffectation des activités.

Il faudrait retrouver un peu notre puissance d’agir donc ça c’est le philosophe Spinoza : donc la puissance, ce n’est pas un terme négatif selon Spinoza. <Cela signifie que> vous êtes capable de faire quelque chose, <que> vous pensez quelque chose <et que> vous le faites. Il y a un impact ; ça se réalise. Enfin il y a toujours quelque erreur à chaque étape de ce que je viens de dire et, euh, on est parfois surpris des actions qui sont contre-productives, mais en tout cas, c’est cette puissance d’agir. Euh, on a parlé du problème de l’économie néoclassique et de toutes ces théories qui mettent toutes le focus beaucoup <trop> sur l’individu. Margaret Thatcher a dit que « There is no society » donc pour elle il n’y a pas de société. On ne peut donc pas penser le fait social ; nous sommes juste des individus et voilà l’état organise ça et l’économie surtout.

J’en reviens aux propositions. Désolé, je vais très vite et je vous donne vraiment des espèces de coups de poing rhétoriques comme ça… Dans les propositions « que faire moi ? », j’ai l’impression que si <dans le diagnostic>, il y a quelque chose qui <se> développe de l’ordre de l’illimitisme… bah <alors> il faut instituer la limite, instituer donc là rendre ça institutionnelle la limite. Ce n’est pas qu’on n’ait pas de limite : il y a un code la route par exemple, il y a un code pénal mais il y a des limites qui ne sont pas fixées en fait notamment les limites planétaires dans le droit au niveau de l’état et dans la culture et dans l’inconscient. Il faut écologiser la pensée et l’action et par exemple l’économie néoclassique il faut l’« écologiser » et, si vous voulez mon avis, ces mots ont la même racine <éco-> à peu près donc l’économie doit devenir l’écologie et donc on doit former maintenant non pas des économistes mais des écologistes qui vont faire un peu la même chose mais beaucoup mieux et de manière scientifique en tenant compte en fait de la réalité physique, biologique et chimique du monde.

La reliance – puisqu’on a une pensée occidentale, cartésienne, réductionniste, <de par laquelle> on sépare tout en petits morceaux et on les analyse, donc une pensée analytique, on doit revenir à une pensée plus holistique donc c’est la reliance qui permettrait en fait de <prendre conscience de ce que> le monde est relié en fait. Ce n’est pas une entité séparée même ; il n’y a pas d’atomes isolés quelque part ; tout est connecté. Vous avez déjà une liaison chimique <et> c’est déjà une reliance et puis <en ce qui concerne> les autres vivants, eh ben, on est relié et cetera. On vit en symbiose avec toutes nos microbiotes intestinaux ; on vit en symbiose avec l’écosystème donc voilà c’est ça, une pensée qui au lieu de séparer, relierait. Il faut nous relier au monde. Là on est en train de se séparer complètement. Le transhumanisme, il veut quoi ? Celui que je déteste en tout cas <c’est> ce transhumanisme <qui> veut nous nous délier et nous séparer du reste. Il veut nous séparer de la vie, de la mort, de la terre. <Qui veut couper> le cordon ombilical avec la terre. On colonise l’espace ; on devient des robots ; on se télécharge en tant qu’intelligence. Voilà avec des intelligences artificielles ; il y a cette idée vraiment prométhéenne : on va vraiment se séparer de tout et voilà. Sauf que je crains que cela ne soit impossible.

Alors plus concrètement maintenant : qu’est-ce qu’il faudrait faire selon moi. Ben, c’est l’un des livres que j’ai écrits, Déclarer l’Etat d’Urgence écologique avec un grand E et un grand U parce que <sinon…> l’état d’urgence petit é petit u, ça c’est le précurseur de la dictature. Il faut réinvestir l’Etat. Selon Spinoza, l’Etat, c’est la puissance de la multitude donc c’est la puissance d’agir maximale. C’est la conjonction des puissances d’agir d’une population qui se synthétise et se combine au niveau de l’Etat… je ne suis pas spécialement fan de l’état mais je dis juste <que> comme figure générique, l’Etat, ça peut être une commune ; ça peut être un collectif ; ça peut être une région ; ça peut être l’Union européenne. C’est ça, c’est l’Etat au sens plutôt spinozien, c’est la puissance d’agir, qui est de la puissance publique. Aujourd’hui, on met le focus sur les individus, l’écoconsommation et les petits écogestes… On rigole là, <parce ce n’est pas à> la taille du problème. Il faut vraiment monter en niveau d’intervention.

Donc il nous faut un Etat, mais aussi un Etat-Résilience parce que j’ai entendu des propos sur un avenir plus heureux que ce que moi j’envisage, mais ce que j’envisage surtout, c’est qu’on va devoir choisir entre plusieurs maux les moindres, donc il y a des trajectoires futures et il y en a qui sont vraiment très mauvaises. Il y en a qui sont terminales. Moi, j’aimerais plutôt qu’on aille dans le champ, dans l’arbre des scénarios, <vers> les trajectoires qui sont les plus favorables. Je ne suis pas certain – malheureusement je ne vends pas de rêve – que ces trajectoires les moins défavorables donc les plus favorables soient aussi confortables et plaisantes peut-être pour nous les riches occidentaux que maintenant, mais je veux dire <que> ce n’est pas grave. L’humanité a déjà traversé bien des choses compliquées : on a plus de ressources que ce qu’on imagine.

Alors une seconde proposition <qui se trouve dans> mon deuxième livre, c’était un pacte social écologique pour retrouver cette puissance de la multitude et effectivement mettre l’Etat en mode urgence. Pour moi, il faut refonder le contrat social. On a bien vu le 1% <les plus riches> ici qui émettent autant que les 66% <les autres, les plus pauvres> et je précise <qu’>il y a aussi les 33% dont on ne parle pas. C’est la classe moyenne mondiale et elle émet je crois dans les 40% et là il ne suffira pas, entre guillemets, de guillotiner les riches. Ça ne va pas résoudre le problème écologique, les amis, il va falloir s’attaquer aussi à la classe moyenne mondiale et s’attaquer aussi – le mot <est> mal choisi – mais en tout cas <il faudra> que la classe moyenne réduise son empreinte écologique. Je pense qu’effectivement il y aura de nettes améliorations du bien-être… il y a par exemple cinq cent mille personnes en arrêt maladie longue durée ici en Belgique et la plupart <le sont pour> des raisons psychologiques… Je ne trouve pas enfin… voilà il faut aussi regarder la réalité du mal-être, hein, c’est de la désutilité hein c’est de la déséconomie, de la contre-productivité. On est dans l’inverse de ce que les économistes imaginent… les économistes classiques et cetera. Donc les gens ne sont quand même pas super-heureux, les gilets jaunes… moi je, voilà, je trouve qu’on peut quand même envisager des améliorations pour pas mal de gens mais il ne faut pas nier que ça va être difficile et que l’état de la planète va continuer à se détériorer.

Alors pourquoi le Pacte social-écologique ? Je fais référence <ici> au Contrat social de Jean-Jacques Rousseau : on a parlé de liberté et là je vais revenir sur la limite. En fait, le contrat social, c’est quoi ? Dans l’état de nature, on va dire je peux te tuer au détour de la jungle derrière un baobab, personne n’en saura rien, hop, et je prends tes possessions. Personne n’a envie de vivre dans la jungle de cette manière, donc le contrat social c’est « je renonce à cette liberté absolue » et au fait que je puis faire ce que je veux sans limite, et, en échange, j’obtiens la liberté civique et je transfère une partie de ma liberté absolue à une instance supérieure, qui peut être le collectif, la commune, le chef de la tribu, le Conseil des Sages… et ils vont prendre des décisions qui vont me contraindre. Donc c’est très paradoxal : je vote et je décide de créer une institution qui va me contraindre. Je le fais librement et en retour je vais <accepter> la contrainte. C’est ça, l’état ; c’est ça, la démocratie. Donc la liberté en fait elle n’existe pas <en soi> et il n’y a de réelle liberté que parce qu’il y a une limitation institutionnelle de la liberté. C’est paradoxal et dans l’article de la Déclaration des Droits de l’Homme (1789), il est bien écrit directement dans l’article relatif à la liberté qu’il y a la notion de limite. Elle est directement conçue comme telle par les philosophes. Donc ce n’est pas du tout la notion de pseudo liberté qu’on entend ici, <et qui signifie qu’on peut> tout faire et tout vouloir et tout désirer et qu’on a tous les droits et aucun devoirs.

Ce contrat social, il va devoir réintégrer ce qui n’avait pas encore été mis dedans <parce que> donc à l’époque de Jean-Jacques Rousseau, <on> n’avait pas encore intégrer en fait le vivant, les animaux, la terre, les écosystèmes, tout ce qui est, et nous aussi on est terrestre… <il faut donc inclure les> humains. Donc cette reliance, elle devrait pour moi être institutionnalisée dans un tel contrat social qui deviendrait social et écologique. Euh et donc il faudrait intégrer maintenant comme cosignataire virtuel de ce contrat <social>, le vivant non-humain. Alors en boutade, je dis <bien que> vous n’allez pas <voir venir> un dauphin qui va venir signer les projets <de loi> au Parlement mais on a déjà créé des fictions juridiques comme les ASBL et les entreprises, et donc on peut tout à fait créer des fictions juridiques qui seraient représentatives des intérêts de l’environnement, de l’écologie, des écosystèmes, et les intégrer dans un contrat social où en fait nous nous lions les uns envers les autres, contractus ça veut dire aussi qu’on est tenu ensemble les uns par les autres et donc qu’on est encordé. Ça, c’était l’image du philosophe Michel Serres, dans Le contrat naturel : nous sommes encordés, les animaux, la nature, les forêts. Si on tire par ici ça vient avec ; si la forêt tire par là, ça va tirer dans l’autre sens ou ici <dans> le climat par exemple, on voit bien qu’il y a des interactions permanentes. <On va> essayer de rester ensemble en fait. On va rester groupé parce que c’est l’intérêt mutuel de tous. C’est l’intérêt (…) à nouveau des dauphins, des humains, des forêts, tout cet écosystème dont nous faisons partie et nous en dépendons donc c’est notre intérêt.

Du coup, redéfinir la liberté non pas dans une atmosphère abstraite, humaine, hors sol mais la reconnecter à la terre, aux limites en fait, au concret et pour moi ça, cette liberté <devrait> se traduire par la notion d’autonomie interdépendante… Un petit peu d’étymologie : autonomie, c’est auto, soi-même, et nomos, ça veut dire aussi la loi. Donc, c’est la capacité à se fixer soi-même ses propres lois donc s’autolimiter en fait. C’est ça, être adulte et être majeur selon Emmanuel Kant. Quand on arrive à soi-même s’autolimiter, se fixer <des limites>, voilà on ne va pas faire n’importe quoi et dans tous les sens et donc cette autonomie interdépendante pour moi, ce serait le principe fondamental de ce nouveau contrat social écologique.

Évidemment alors maintenant, je refais le lien avec l’économie : pour le moment, l’économie, elle n’est pas reliée, elle n’est pas connectée, elle est hors sol… La manière dont elle fonctionne, il va falloir lui imposer et certains ont proposé par exemple une constitution pour l’économie, Paul Jorion, je pense, notamment… il faut la remettre sous la coupe du politique. L’économie en fait, c’est le politique, c’est la démocratie qui doit dire à l’économie ce qu’elle ne peut pas faire à l’inverse <de ce qui se passe> pour le moment. C’est l’inverse…

Alors je conclus. Voilà. C’est une figure historique : le Moment Pearl Harbor où les Japonais attaquent par surprise la base navale américaine en 1941. Les Américains à l’époque étaient isolationnistes, pacifistes, dans le déni de la situation dans le monde. F.D. Roosevelt, le président de l’époque, il savait que la guerre était inévitable avec les forces totalitaires et autoritaires et donc voilà il était bloqué. Son électorat ne voulait pas s’engager militairement donc il a été plus astucieux : on va fabriquer des armes et les vendre, comme ça on n’est pas en guerre mais en fait on aide déjà la démocratie, les Alliés, et puis il y a Pearl Harbor, et le basculement total de l’opinion publique. Et là Roosevelt qui force le congrès qui vote la déclaration de guerre et tout ça et puis les États-Unis s’engagent… J’ai l’impression que si nous on ne vit pas dans un régime nazi aujourd’hui, c’est aussi grâce à des interventions comme ça, donc c’est un truc négatif « la guerre, c’est violent » mais si on le transforme en mode positif, est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer, c’est ce que j’espère, mais je pense qu’il ne faut pas trop espérer : il faut plutôt faire réagir parce qu’à force que les catastrophes s’accumulent – pandémie, inondation, réchauffement climatique, sécheresse, canicule… – (…) c’est sur ce <point> là <que> je m’attends à ce que la probabilité de ce sursaut augmente. Ça c’est certain.

Est-ce qu’il aura lieu, ce n’est pas certain mais s’il a lieu, espérons qu’à ce moment-là on va pouvoir embrayer, mettre la seconde, la troisième et aller beaucoup plus vite par rapport à ce qu’il faut faire. Voilà merci.

Texte retranscrit par Jean Richelle.

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