Commentaire n°9 : les méga incendies canadiens de 2023




6.000.000 d’hectares ont brûlé au Canada.

L’an dernier, nous avions (avions !!! qui volent…) réfléchi à voyager au Canada avec la famille, pour cette été… j’étais  contre prendre l’avion au départ mais j’ai accepté car c’est un vieux rêve familial. Moi je suis déjà allé 2 fois au Canada il y a une dizaine d’années. Mon dernier vol en avion : la Bulgarie il y a 6 ans, pas terrible. Depuis, j’ai toujours refusé de prendre l’avion et je vis très bien comme ça…

Si nous avions mené à bien notre projet familial, nous pourrions être au Canada en ce moment, à Montréal, confiné dans un hôtel, avec un indice de qualité de l’air indiquant « ville la plus polluée au monde ».

Tandis que l’an dernier, nous étions en vacances dans un camping en France, près du Bassin d’Arcachon, à quelques kilomètres des premiers mégafeux de l’histoire de France. J’ai le vif souvenir que nous étions survolés par des Canadairs français volant l’un derrière l’autre pour aller recharger leur cuve d’eau dans les lacs voisins puis filer la déverser sur les incendies qui faisaient rage à quelques kilomètres. Cette odeur acre de brûlé et cette lueur irréelle de fin du monde dans le ciel. L’anxiété que nous ressentions, partir ou rester ? Le tout sous une canicule de 40°C.

Très dur psychologiquement donc pour nous d’observer ces incendies au Canada, à Montréal dont les fumées vont nous atteindre ces jours-ci. J’apprends aujourd’hui que nous allons peut-être respirer, ici en Europe, des molécules issues des incendies canadiens, qui vont peut-être encrasser nos poumons.

Très dur de savoir que le gouvernement canadien, élu démocratiquement par la population via son parlement, mène une politique économique d’exploitation des sables bitumeux de l’Alberta (une saloperie pour faire du pétrole, avec un rendement exécrables en plus), et exploite en même temps (dévaste est le bon mot) ses propres forêts primaires pour faire du bois (les forêts qui sont censées être les puits carbones pour la « neutralité » carbone…).

Très dur de voir ce pays aimé, le Canada, et cette province aimée, le Québec, et ces millions de sympathiques Canadiens et Québécois, enfumés par les mégafeux de l’Écocide. Très dur de savoir pertinemment que les électeurs canadiens ont voté pour une politique écocidaire dont ils sont les victimes. Et que cela fait des années qu’ils mènent une vie dont l’empreinte écologique est gigantesque, dans un pays dont la taille gigantesque leur a donné culturellement l’illusion de l’infini, comme aux citoyens des Etats-Unis.

Tout ça ne peut QUE nous faire nous poser des questions sur la condition et la nature humaine au niveau existentiel. Cela balaie toutes les mauvaises explications sur « pourquoi on ne fait pas la transition écologique » (devenue impossible sous sa forme douce aujourd’hui… même la décroissance dite « heureuse » est devenue impossible, il n’y a plus que des scénarios politiques de rupture, il n’y a plus que des dystopies).

Nous savons scientifiquement, nous pouvons techniquement et financièrement, nous déclarons vouloir dans les enquêtes d’opinion, nos institutions en sont capables… et pourtant, nous ne faisons pas ce qui est d’urgence nécessaire. Nous savons que nous pouvons clouer l’aviation ludique au sol pour réduire les émissions en 24h. Mais nous ne le faisons pas, pour d’obscures raisons idéologiques. Le reste est à l’avenant bien sûr, clouer l’aviation au sol ne suffirait pas mais il n’existe pas de scénario crédible où on ne le ferait pas. Une énorme partie de l’activité économique détruit aujourd’hui massivement de la valeur. Et la production de valeur par l’économie alternative ne compense même pas un peu la destruction générale. Il faudrait fermer rapidement toute cette activité en prenant soin de leurs travailleurs, pour sauver la Biosphère autant que se peut encore.

Nous devrions tous être dans la rue et appeler nos gouvernements à appuyer à fond sur le frein d’urgence. L’habitabilité planétaire est menacée, ce qui menace la bonne existence de l’Humanité entière.

Face à l’immense fossé qui sépare le réel et l’inertie générale, on ne peut plus se contenter d’explication intermédiaires.

Nous sommes OBLIGÉS d’interroger l’anthropologie, la question de la bonté ou de la malfaisance de l’être humain en tant qu’espèce si on est lucide quant à l’Écocide planétaire. Nous sommes obligés d’interroger notre métaphysique (illimitiste), notre éthique (qui nie le fait vivant), notre politique (qui n’est pas dotée des institutions de la limite, de l’autolimitation), notre pensée économique (capitaliste, consumériste, productiviste, extractiviste, croissantiste, néolibérale).

Imaginer une seconde que nous allons pouvoir résoudre le problème DANS le système actuel ressemble de plus en plus à de la folie furieuse.

Nous ne pouvons plus simplement interroger « le capitalisme », « le néolibéralisme » ou tous les mots en « isme ». Nous ne pouvons QUE nous poser la question de la capacité de l’être humain, de l’espèce humaine, des sociétés, à s’inscrire dans le réel, dans un sens qui n’est même pas éthique, mais qui s’inscrit dans le simple instinct de survie ! Et nous ne pouvons QUE nous poser la question de notre imaginaire sociétal et des institutions qui le mettent en œuvre.

Il faut le répéter encore et encore : le cumul des catastrophes écologiques « anthropocéniques », c’est-à-dire d’ampleur planétaire, marques indubitables de l’anthropocène, ces dernières années, crée une rupture ÉNORME en termes de métaphysique, d’éthique et de politique, d’existentialisme…

Tout ce que nous pensions savoir de l’Humanité, il nous faut le remettre sur le métier. Nous n’avons plus le choix que d’une réforme totale de la pensée, comme l’a initiée par exemple le philosophe Edgar Morin.

Combien de baffes nous faudra-t-il encore pour déclarer l’Etat d’Urgence écologique et mettre en œuvre un plan de mobilisation générale ?

Je ne suis pas sûr que beaucoup de gens, même parmi les intellectuels, les scientifiques, les philosophes, les décideurs du plus haut niveau, mesurent la rupture métaphysique en cours.

Ceux qui ont compris se sentent bien seul dans le déni général. Plus aucune conversation normale, même autour d’un barbecue et dans la chaleur d’un soir d’été, n’est possible pour eux. Le hurlement intérieur est bien trop important, fondamental, existentiel. La pulsion de vie est beaucoup trop forte, pour tolérer l’assourdissant silence de la société, de nos amis, de nos collègues, de nos proches.

La condition humaine, avec l’Anthropocène et l’Écocide, a définitivement basculé.

Il n’est plus permis de se taire. Il faut percer le silence de nos hurlements !

Nous n’avons plus le choix que de nous révolter, et d’entrer en résistance.


Downtown Calgary Alberta Canada Wildfire Smoke

Dwayne Reilander, CC BY-SA 4.0, 2023