Commentaire n°17 : Écologie : notre Liberté vs leurs « libertés »


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La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1789.


Un journaliste nous interpelle sur l’accusation ancienne, régulière, et de plus en plus fréquente, formulée à l’encontre de l’écologie : elle « menacerait la liberté ». Les politiques écologiques seraient « liberticides », « antidémocratiques » voire « dictatoriales ». On compare des écologistes à des « Ayatollahs » ou « Khmers verts ». On accuse même les climatologues « d’apporter leur aide à un agenda idéologique caché, destiné à soumettre les populations à une forme de totalitarisme écologique ». Il est tout à fait normal de ressentir une grande consternation face à de tels « raisonnements » mais en démocratie, il faut continuer à dialoguer et argumenter. Peut-être certains qui disent cela sont-ils de bonne foi ?

Un grand débat public, animé par la presse, sur ce que signifie la liberté en démocratie semble donc bien nécessaire. Ce débat a pourtant déjà été entamé, vécu dans leur chair par les citoyennes et citoyens, pendant la pandémie… durant laquelle chacun avait son avis sur ce que signifiait « la liberté », alors que des mesures de suspension de plusieurs libertés fondamentales étaient prises par les gouvernements, et que certaines « activités » étaient interdites. Cela fut formulé de mille manières : pour protéger la vie d’autrui, nous devons chacun renoncer temporairement à l’exercice de certaines libertés fondamentales, et à mener certaines « activités » facultatives. N’avons nous rien retenu de cette leçon ?

Cela m’inspire ce qui suit.

Paradoxalement, les accusateurs de l’écologie ont raison sur un point, il y a un lien essentiel entre écologie et liberté (NB : dans cet article, nous ne distinguons pas droits et libertés fondamentales, par simplification). Mais ce lien va dans le sens totalement contraire de ce qu’ils imaginent. Le nexus entre écologie et liberté est … existentiel. L’écologie au sens large veut garantir l’existence humaine et non humaine sur Terre, dans toutes ses dimensions (liberté,  bonheur, santé,  prospérité, égalité,  solidarité, démocratie,  etc.), cela indéfiniment. Cela signifie concrètement et nécessairement maintenir l’habitabilité planétaire. Il n’y a aucune liberté sans existence, sans santé, sans environnement sain, sans planète habitable (pure logique). Toute dégradation d’un de ces termes réduit de facto la liberté.

Pendant qu’on glose sur l’écologie « liberticide », l’écocide planétaire en cours (dont le réchauffement climatique) réduit déjà sans conteste, concrètement et drastiquement, les libertés partout sur Terre. Désormais aussi dans les pays les plus riches du monde (USA, Canada, Australie, Japon, Europe…). Le droit établit de plus en plus le lien entre écologie et liberté mais pas dans le sens de ses accusateurs. Le jugement récent dans l’état du Montana aux USA va dans ce sens : le droit à la vie et à la santé, et donc à un environnement sûr et sain, sont des droits fondamentaux, de type constitutionnel. Ne pas soumettre les décisions du gouvernement du Montana en matière d’extraction de combustible fossile à l’examen des conséquences environnementales, y compris climatiques, enfreint la Constitution de cet État. D’autres jugements vont dans le même sens ailleurs dans le monde, de plus en plus (affaire Urgenda aux Pays-Bas, jugement de la Cour constitutionnelle allemande, Klimaatzaak chez nous, etc).

Les habitants de Phoenix qui ont subi cette année 30 jours à plus de 43°C ont vu leurs libertés drastiquement réduites durant cette canicule. Sans parler de ceux qui sont morts de chaud. Sans parler des morts noyés en Chine ou brûlés à Hawaï.

Bref, les philosophes et leaders qui ont théorisé et défendu la Liberté grand L (Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Martin Luther King, Nelson Mandela, Mahatma Gandhi, Edgar Morin, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Greta Thunberg…) l’ont toujours conçue comme interdependante et délimitée. L’exercice de la liberté ne pouvait en aucun cas conduire à sa propre destruction, ce qui aurait été une aporie logique. Il faut bien relire la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, article 4, pour constater qu’une des premières formulations juridiques de la notion de liberté comprend immédiatement la nécessité qu’elle soit bornée par la loi. Ce fut l’objet du concept de Contrat social. Personne n’a le droit de menacer l’existence d’autrui et de la communauté, encore moins pour servir des intérêts particuliers.

Bien que le droit n’hiérarchise pas nécessairement les droits et libertés d’un point de vue formel, en pratique, la jurisprudence le fait. Seules quelques libertés sont quasi absolues, comme celle de vivre, tandis que la plupart des autres sont relatives. Ainsi, la liberté d’association ne peut contrevenir à la liberté de vivre, la liberté d’entreprendre et de commercer ne peut contrevenir à la liberté de jouir d’un environnement sain, la liberté de la presse ne peut inciter à la haine raciale, etc. Certains droits et libertés sont manifestement supérieurs comme le droit à la vie, à la santé et à un environnement sain, et tous les droits politiques, par rapport aux droits économiques et au droit aux loisirs, qui leur sont subordonnés.

Aujourd’hui, la droite (extrême-droite, droite conservatrice, droite libérale, centre-droit) et parfois aussi une pseudo gauche (dite « de centre-gauche », « socialiste », ou d’ »extrême-gauche » -cette dernière en fait d’extrême droite), c’est-à-dire toutes les forces politiques conservatrices et réactionnaires, opposent à la liberté de vivre en bonne santé dans un environnement sain des soi-disant « libertés » -en fait le service d’intérêts particuliers-. La droite défend des pseudo « libertés » comme « rouler en SUV à 150 km/h », « prendre l’avion pour un city trip plusieurs fois par an », « stériliser des terres agricoles pour bâtir des villas 4 façades », « réveiller 100.000 citadins chaque nuit pour transporter des colis Amazon par avion », « arroser son golf et remplir sa piscine pendant une sécheresse », etc. Pour la pseudo gauche, des pseudo « libertés » sont défendues comme celle de « déverser des tonnes d’engrais et de pesticides sur son champ », d’ »arroser son jardin de désherbant toxique », de « rouler dans une vieille voiture polluante », de « boire du soda dans des bouteilles en plastique », d’ »acheter des vêtements en ne les portant qu’une seule fois », de « manger beaucoup de viande et de faire des barbecues plusieurs fois par semaine » (car le barbecue est le summum de la liberté), de « faire du quad en forêt », de « bétonner l’avant et l’arrière de sa maison 2 façades », etc. Il semble que de nos jours, autant le riche de droite que le pauvre de gauche soient excusés d’écocider l’environnement au motif de ces « libertés ».

Or, il est de plus en plus évident, d’un point de vue scientifique, que toutes ces activités, travesties en « libertés », et mille autres activités qui causent l’Écocide, doivent être réduites le plus vite possible -interdites si nécessaire, et ce sera la plupart du temps nécessaire vu l’Urgence– si nous voulons encore avoir la moindre chance de préserver ce qui reste de l’habilitabilité planétaire, et donc notre vie et notre santé. La défense de notre Liberté passe nécessairement par l’interdiction de leurs pseudo « libertés », par la force de la loi, sous l’égide de l’État, investi de la légitimité démocratique. Tôt ou tard. Le plus tôt le mieux. C’est le sens profond du mot Liberté et du concept de Contrat social, par nature démocratique, que de confier à la loi le soin d’interdire certaines choses, et à l’État le soin d’exercer la force nécessaire pour assurer le respect de la loi.

Les écolos, libéraux, socialistes, humanistes, communistes, qui refusent de penser, de dire et de réclamer l’adoption de lois contraignantes, d’interdiction des activités écocidaires, sont idiots, hypocrites, cyniques ou nihilistes. Ceux qui croient à des abstentions sur base volontaire des pollueurs « libres » encouragés « positivement » par un récit « joyeux » se méprennent donc sur la nature humaine. Ceux qui croient que la technologie évite le dilemme, va préserver, par exemple, les vols touristiques spatiaux pour tous ET la planète dans la pseudo « liberté » de chacun de faire tout ce qu’il a envie… devraient suivre quelques cours de sciences appliquées.

C’est de la pure physique élémentaire sur le fond, et de l’éthique niveau primaire sur la forme.

Nous le savons déjà juridiquement (on ne peux pas rouler à l’envers sur l’autoroute, on l’accepte sans hurler à la dictature) mais pas pour l’écologie. Pourquoi ? Mon avis est que notre métaphysique, donc notre éthique, nie notre interdépendance au vivant… et donc on ne supporte pas de ne pouvoir lancer sa tondeuse robot la nuit pour épargner « des hérissons ». Autrement dit, il est encore inconcevable, dans notre vision du monde, que nous soyons « limités » pour des motifs écologiques, c’est-à-dire pour préserver l’habitabilité planétaire, que nous considérons comme acquise, voire superflue, vue notre technologie. On considère que les hérissons n’ont aucune importance, comme la forêt amazonienne, l’Antarctique, les sols agricoles, l’eau de la rivière, les arbres des jardins, la devanture des maisons, l’obscurité et le silence nocturnes… On peut massacrer les insectes, ils ne servent à rien. On peut tout bétonner avec des jardins japonais et des terrasses carrelées, on peut tondre sa pelouse dès qu’elle fait 5cm, ce que nous disent les scientifiques ne rentre pas dans notre vision du monde.

Pourtant, quelle ironie, déjà aujourd’hui certains qui défendaient leurs fumeuses « libertés » les ont vues disparaître en fumée, littéralement (Californie, Floride, Sud de la France, Australie, …villa 4 façades, SUV, barbecue, vêtements et tondeuse robot itou).  Parfois ils ont perdu la liberté de vivre faute d’avoir renoncé à certaines « libertés » de surconsommer.

Il est révélateur que certains américains qui discutaient des premiers amendements à leur Constitution opposaient à la liberté des afro-americains la « liberté de posséder des esclaves » , la « liberté de les faire travailler et de les punir », la « liberté d’en faire commerce », etc. Ceux qui accusent l’écologie de menacer les « libertés » sont leurs dignes descendants, leurs arguments ont à peine changé…

Aujourd’hui, ce slogan ancien n’a jamais été aussi vrai : écologie ou barbarie, il va falloir choisir.

Nous avons été biberonnés à l’idée de « liberté » individualiste et consumériste. Nous percevons la juste et légitime contrainte de la loi pour la vie en société comme un geste dictatorial… quelle ironie…

Le scénario actuel tendanciel reste donc… « Ils périrent tous dans les flammes en criant ‘liberté !’, pendant que la Liberté était réduite en cendres »


Image by Peter Gottschalk

Pixabay

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