Situation n°4 : Ecolo, penser l’entre 9 juin et 13 octobre, sans clore définitivement l’enjeu de la refondation


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Le futur tandem vert aura la lourde tâche de mener des troupes déjà meurtries à la bataille des élections locales. Mais aussi, encore plus douloureux, de remercier toute une série de collaborateurs du parti afin de réaliser des économies : la défaite de dimanche aura aussi un effet délétère sur les caisses du parti vert.

Ensuite seulement, une réflexion stratégique et idéologique devra être menée en profondeur.

Après la débâcle électorale, Écolo doit se réorganiser à marche forcée – La Libre




Nous avons affirmé dans le précédent billet que la défaite de l’écologie était « doublement triple ». C’est d’une part la défaite de l’écologie scientifique, de l’écologie philosophique et de l’écologie politique. C’est d’autre part la défaite de l’écologie depuis 50 ans, la défaite des mouvements et des partis écologistes (presque) partout dans le monde, et la lourde défaite d’Ecolo en Belgique ce dimanche 9 juin 2024. Nous allons dans ce billet nous pencher sur la manière adéquate pour les écologistes de réagir à la défaite du 9 juin et de minimiser la casse lors des élections communales et provinciales du 13 octobre 2024. Ecolo ne dispose pour ce faire que de 120 jours. Cependant, nous pointons le risque pour le parti, en voulant sauver les meubles, de refermer trop rapidement et définitivement certaines pistes de refondation et de reconstruction. Nous verrons dans d’autres billets si nous pouvons tenter d’analyser les causes conjoncturelles et structurelles de la défaite de l’écologie. Car ce qui importe n’est pas de gagner des batailles mais la guerre.

Nous n’ignorons pas que les cadres du parti Ecolo ont sans doute maintenant comme priorité de « sauver les meubles » lors des élections communales et provinciales du 13 octobre 2024, dans 120 jours. Une deuxième défaite pourrait s’additionner à la première et affaiblir encore le relais politique francophone de l’écologie en Belgique. Un vent de panique souffle, qui est de mauvais conseil. Nous plaidons ici pour éviter une troisième défaite, celle de la pensée. Car la défaite de la pensée mènera mécaniquement à la défaite pour l’ensemble de la guerre que mène l’écologie contre la destruction du monde.

On nous objectera que « ce n’est pas le moment de se lamenter, de critiquer les personnes, de chercher des coupables, ni d’analyser en long et en large les diverses causes de la défaite du 9 juin ». On nous affirmera au contraire qu’il est « besoin de rester mobilisés, de resserrer les rangs et de nous concentrer sur le prochain match, avec les moyens dont nous disposons ». Il est pourtant possible de sortir des réactions caricaturales, d’éviter le déni de la défaite, en réalisant une analyse d’urgence des enjeux et causes de cette défaite, en attendant d’avoir le temps suffisant de la refondation et de la reconstruction en profondeur.

On peut raisonnablement craindre que – scénario du pire – les élections locales du 13 octobre 2024 connaissent une défaite encore plus lourde des candidats Ecolo, par renforcement de tendance, ou – au mieux –, constituent une défaite d’ampleur équivalente. Il serait ici judicieux ne pas tomber dans l’argument du « oui mais les élections locales obéissent à une autre logique ». Tous les enseignements du 9 juin ne seront pas applicables au 13 octobre, oui. Mais l’inverse n’est pas vrai : certains phénomènes identiques vont jouer à plein le 13 octobre. Il est donc raisonnable de n’espérer aucune victoire autre que celle de limiter la casse, en aussi peu de temps entre deux scrutins. On ne peut bien sûr écarter l’hypothèse que des phénomènes imprévus renversent certaines forces externes à l’œuvre (un été caniculaire ou des inondations battant tous les records ? des scandales dans les autres partis ?) mais un parti rationnel doit d’abord et seulement compter sur ses propres forces et n’espérer aucun miracle.

Ce n’est pas parce qu’une deuxième défaite se profile qu’il faut abandonner entièrement la lutte pour les communales et les provinciales. Il y a des gradations dans la défaite. Depuis le 9 juin, on le sait. On pressent donc assez rapidement que pour limiter cette casse le 13 octobre, un sursaut d’ampleur de la part du parti est nécessaire, un électrochoc capable de réanimer le joueur évanoui, pour qu’il puisse au moins jouer le match retour. L’électorat qui a abandonné Ecolo dimanche pourrait peut-être être récupéré en partie s’il pressent que son message a été entendu tandis qu’on pourrait éviter la fuite ultérieure de ceux qui ont malgré tout voté pour le parti le 9 juin, et qui doivent se sentir aujourd’hui bien isolés dans la population.

On voudrait pouvoir repartir d’une feuille blanche mais on ne le peut. On ne peut pas remercier tout le personnel et en recruter un tout nouveau. On ne peut pas jeter tout le matériel à la poubelle. On va devoir utiliser les moyens du bord. Tout l’art va être de reconfigurer rapidement la structure et la stratégie d’Ecolo pour minimiser la casse en 120 jours, en écartant les plus gros facteurs de défaite et en intégrant certains facteurs de victoire, quitte à intégrer du sang radicalement neuf. Il va falloir trancher dans le vif pour avoir quelque effet. C’est héroïque mais il n’y a pas d’autre voie.

Le parti semble avoir décidé non pas de nommer une nouvelle équipe intérimaire à la coprésidence, ni de maintenir l’ancienne direction jusqu’au 13 octobre, mais d’élire une nouvelle équipe de manière structurelle, pour 4 ans donc, d’ici au 21 juillet. Sans juger nécessairement l’option retenue, notons qu’aucune option n’était bonne et toutes comportaient des risques. On peut évoquer les risques de l’option retenue qui sont une déstabilisation de la direction opérationnelle du parti en période de tempête, une impossibilité pratique de faire émerger réellement de nouveaux profils et une bifurcation d’ampleur dans le temps imparti (d’ici au 21 juillet), un risque corollaire que ceux qui remporteront la coprésidence seront des héritiers directs de la ligne qui a mené à la défaite (et « mêmes causes mêmes effets »), la quasi certitude d’un recul écologiste le 13 octobre qui entamera immédiatement la virginité des nouveaux coprésidents (s’ils en ont encore une lors de leur élection à leur poste), le report d’un éventuel débat approfondi sur le projet et le fonctionnement du parti alors qu’on aura déjà opté pour ses nouveaux dirigeants. Ainsi, on risque de refermer très vite la fenêtre d’opportunité ouverte par la défaite, la défaite qui permet de forger la victoire future, qui aurait pu faire émerger une autre manière de faire de l’écologie chez Ecolo, une véritable bifurcation de fond et de forme, que de nombreux écologistes de cœur appellent de leurs vœux.

Nous ferons un nouveau bilan d’ici la fin 2024… Actons cette décision. Et mettons-nous à la place des deux nouveaux coprésidents, qui devront réussir les douze travaux d’Hercule.

Nous pensons que pour administrer l’électrochoc susceptible de réanimer le patient, il faut pouvoir le diagnostiquer rapidement, évaluer le voltage nécessaire et préciser l’endroit où appliquer le mieux les électrodes. Une analyse des causes de la défaite du 9 juin, avec les marins à bord et en pleine tempête, est indispensable. Faire le gros dos alors que le navire prend l’eau n’est donc pas une option rationnelle. Il faut identifier les voies d’eau, envoyer les marins dans la cale pour les reboucher, mettre en marche les pompes, et choisir un nouveau cap pour s’éloigner des eaux tumultueuses du 9 juin.

La non élection et la démission inopinée d’un nombre significatif de dirigeants du parti décapite opérationnellement et symboliquement l’organisation au moment où elle a le plus besoin d’un pilotage précis, au milieu des récifs. Quand bien même ces officiers sont toujours à bord, plus ou moins proches de la passerelle, leur crédibilité politique a pris un sérieux coup, tout simplement parce que leur ligne a été désavouée par les urnes. Quelqu’un doit reprendre la barre. Mais qui ?

Des cadres historiques ? Des poids lourds contestataires de la ligne officielle ? Des jeunes mandataires ? Un mélange de profils ? Des inconnus au bataillon ?

Et de quelle analyse des enjeux et des causes parlons-nous, lorsqu’on est en pleine tempête ?

Il est tout à fait juste que nous avons très peu de temps. Et pas le temps de l’évaluation de la plus grande ampleur, la plus élargie, la plus approfondie, la plus rigoureuse, des causes de la bérézina. Comme un général qui vient de subir une lourde défaite de ses troupes sur le champ de bataille, et qui essaie de faire retraite en bonne ordre poursuivi par l’ennemi, il faut réunir non seulement l’état-major vaincu mais aussi des observateurs indépendants de la bataille, afin de réaliser un diagnostic de secours et mettre en œuvre des mesures d’urgence, pour éviter que le reste de l’armée soit également défait lors de la bataille suivante. Parfois, dans ce genre de situation, on a dû relever de leurs fonctions certains officiers, et parfois même l’officier commandant, et les remplacer au pied levé par d’autres officiers n’ayant pas failli dans la défaite, afin de leur donner le bénéfice du doute, à des fonctions supérieures. Parfois au contraire, on a maintenu l’état-major en place, en espérant qu’il s’amende immédiatement, éventuellement en lui adjoignant des points de vue contradictoires, d’autres lignes, d’autres regards, d’autres manières de faire. Nous avons vu qu’on opte ici pour un remplacement du général en pleine campagne. Quid des officiers de la passerelle et de pont ?

Il y a donc ici un juste milieu à trouver dans l’analyse des causes et la remédiation, un pragmatisme de l’urgence, pour sauver les meubles et ne pas casser définitivement le jouet. Urgence ne signifie pas précipitation et affolement. Il va falloir garder son sang froid.

Il s’agit dans un premier temps d’énumérer les conditions requises pour une évaluation lucide et rationnelle, donc performante, de ces causes, dans un navire qui prend l’eau en pleine tempête. On postule ici que cette analyse des causes est indispensable pour reconstruire le parti et le rendre à nouveau performant à moyen et long terme. Mais nous n’avons que le temps d’une analyse d’urgence en vue des élections communales et provinciales. Dans les deux cas, on n’oubliera pas que, nous l’avons vu dans le précédent billet, une évaluation expérimentale strictement scientifique des causes est impossible pour les macro-phénomènes, dont font partie les élections et la Politique en général. C’est à cause de cette impossibilité que la Politique sera pour toujours un art et jamais une science exacte. Même si on peut étudier le champ politique avec une méthode scientifique tout à fait rigoureuse (les sciences politiques), ce champ est impossible à réduire au moyen des outils d’investigation expérimentaux. Pour le reste, l’incertitude radicale demeure et l’éthique, dans l’analyse des causes et dans les recommandations de remédiations, sera celle du pari.

Les nouveaux dirigeants d’Ecolo devront donc parier, et parier gros. Car jouer la défense, encore une fois, rend certaine une lourde défaite en octobre.

On doit donc assumer à l’état-major d’émettre des conjectures, c’est-à-dire envisager d’examiner les causes possibles, probables et certaines d’un événement qui est avant tout un processus spatio-temporel où les déterminations se mêlent aux aléas.

L’unité d’analyse sera ici celle du parti Ecolo : les militants, les membres du personnel, les cadres, les mandataires, les candidats, les co-présidents, … et les électeurs potentiels.

Plusieurs autres unités d’analyse sont également possibles, celles de l’écologie scientifique, l’écologie philosophique, l’écologie politique, du mouvement écologiste depuis 50 ans et des autres partis écologistes qu’Ecolo, ailleurs en Europe et dans le monde. Mais cela ne pourra pas être initié avant la suite du 13 octobre 2024. Entretemps, les esprits seront trop occupés.

Les derniers événements et décisions indiquent que le parti Ecolo privilégie le serrage des rangs, une nouvelle direction pour 4 ans et le report des questions qui fâchent, en se focalisant sur les élections locales d’octobre. Il serait fâcheux que ces choix cadenassent ensuite l’ouverture des possibles, la possibilité même d’une refondation et d’une reconstruction de l’écologie politique. Un emplâtre sur une jambe de bois ne suffira pas.

Voici un inventaire non exhaustif des causes et enjeux à examiner.

  • Les causes internes
    • La direction du parti (la coprésidence), son diagnostic, sa vision, sa stratégie, sa tactique, sa gestion des ressources humaines, son programme, son discours, sa communication, etc.
    • Les cadres dirigeants du parti (la garde rapprochée), dans les mêmes dimensions précitées
    • Les mandataires en place (ministres et députés sortants), dans les mêmes dimensions
    • Les candidats aux élections (les mêmes ou pas), idem
    • Le personnel du parti (recrutement, professionnalisme, etc.)
    • L’organisation du parti, sa gouvernance, ses processus, ses moyens, sa gestion des ressources humaines, …
    • Etc.
  • Les causes externes
    • La stratégie et la communication des autres partis (MR, Engagés, PS, PTB, etc.)
    • Les situations écologique, sociale, économique, politique et démocratique dans le pays
    • Le système médiatique, en ce compris la presse, les réseaux sociaux et l’IA
    • La communication et le discours ambiants
    • Les préoccupations des électeurs
    • Etc.
  • Le diagnostic de la nouvelle situation belge post 9 juin
    • situation écologique (rapports scientifiques)
      • accélération du réchauffement climatique
      • amplification du franchissement des autres limites planétaires
      • pollutions air, sol, eau
    • situation sociale
      • taux de pauvreté, de chômage et de maladie de longue durée
      • inflation
    • situation économique
      • concurrence des Etats-Unis et de la Chine
      • coût du travail en Belgique
      • suites du choc de la pandémie
      • émergence de l’IA
    • situation politique et démocratique (y compris le rapport de force intra-belge post 9 juin)
      • taux d’abstention historique aux élections du 9 juin
      • fake news et infobésité
      • victoire de la droite et défaite de la gauche
      • montée de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche
      • guerres en Ukraine et à Gaza
    • La prospective sur les 5 prochaines années
    • Etc.
  • La gestion du licenciement d’une grande partie du personnel d’Ecolo
    • Ecolo (parti, centre Jacky Morael, etc.)
    • Etopia
    • Fédéral
      • Le cabinet Gilkinet
      • Le cabinet Khattabi
      • Le cabinet Schlitz – Leroy
      • Les député.e.s à la Chambre et leurs assistant.e.s parlementaires
    • Région wallonne
      • Le cabinet Henry
      • Le cabinet Tellier
      • Les député.e.s au Parlement wallon et leurs assistant.e.s parlementaires
    • Région de Bruxelles-Capitale
      • Le cabinet Maron
      • Le cabinet Trachte
      • Les député.e.s au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale
    • La Fédération Wallonie-Bruxelles
      • Le cabinet Linard
      • Le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et leurs assistant.e.s parlementaires
    • Etc. (cocof, …)
  • La perte d’une bonne partie du financement
  • L’organisation d’une refondation et d’une reconstruction du parti, plus ou moins ambitieuse






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Une réponse à “Situation n°4 : Ecolo, penser l’entre 9 juin et 13 octobre, sans clore définitivement l’enjeu de la refondation”

  1. Avatar de Roland Moreau
    Roland Moreau

    La défaite de l’écologie était « doublement triple »! Bien vu! Analyse pertinente, provocante (de réflexions) et clarifiante.
    L’éco-logie (étude de notre ‘maison’) est, étymologiquement, une SCIENCE, contrairement à l’éco-nomie (gestion de notre ‘maison’). L’écologie est aussi une PHILOSOPHIE, une manière de penser le monde de façon systémique, holistique (comme dans la ‘nature’).
    Et bravo de proposer ‘écologisme’ pour nommer l’écologie POLITIQUE, puisque la politique, si elle a intérêt à respecter la science, prend parfois ou souvent ses distances avec elle.
    Que l’écologisme ait perdu des plumes, voire une ou deux ailes le 9 juin en Europe (et particulièrement en Belgique) est malheureux.
    Que l’écologie soit renversée ‘avec l’eau du bain’ est dramatique! La science, les faits sont attaqués, le déni se propage, les alertes sont ignorées. Pire les scientifiques, devenus ‘lanceurs d’alerte’ par respect pour leur travail et leur vocation, sont désormais taxés de ‘militants’ (donc d’idéologie non ‘scientifique’) afin de les dénigrer.
    L’écologisme a pris un grosse claque. Ce n’est pas la première fois. Et ce n’est pas la dernière si les tenants du ‘business as usual’, tous ceux qui sont aujourd’hui gagnants dans la partie de ‘Monopoly’ mondiale, les (ultra)riches, continuent convaincre les (plus) ‘pauvres’ qu’assurer leur ‘fin du mois’ n’est pas compatible avec l’évitement de la ‘fin du monde’.
    L’écologisme ne fait que faire des propositions (trop molles) en tenant compte de la science et des faits (les ‘points de bascule’ et les ‘limites’ qu’on n’arrête pas de dépasser) que la majorité des électeurs ne veulent pas/plus voir car, et on peut le comprendre, ils pensent et vivent à court terme (la fin du mois difficile, c’est aujourd’hui) et, si effondrement il devrait avoir, il est pour ‘les autres’ ou pour ‘plus tard’! Peu de solidarité, pas de vision!
    C’est le paradoxe! L’écologisme est devenu la victime des inégalités qu’il dénonce pourtant. Et les ‘gagnants’ qui convainquent la majorité de rejeter l’écologisme et, en passant, l’écologie sont précisément ceux qui engendrent et accroissent les inégalités.
    L’empreinte écologique (la demande de l’Humanité) dépasse la biocapacité de la Terre (l’offre de services, gratuits’, de notre planète) depuis les années 70 et l’écart se creuse! Comment expliquer cela sereinement à celles et ceux qui ne bouclent pas ‘la fin du mois’, surtout quand les médias leur vantent ‘ad nauseum’ les excès matériels de ceux et celles qui accélèrent la ‘fin du monde’.
    Le défi est énorme et complexe. Il est pourtant indispensable de le relever, très rapidement.
    Puisse l’écologie, comme les autres sciences, être au programme de tous les partis!

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