Guerre en Ukraine : arme nucléaire, démocratie, tyrannie


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Hiroshima après l’explosion nucléaire, 1945.

Je partage une très intéressante opinion dans le Guardian : https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/nov/23/peace-talks-putin-helping-ukraine-win-war-kremlin

Le texte revient aux fondamentaux que Jacques Attali avait sous-entendus avec sa question du 24 février 2022 : « et si la Russie nous menaçait de représailles nucléaires si nous livrons des armes à l’Ukraine, que ferons nous ?« 

C’est l’ancienne question de ce que les citoyens d’une démocratie sont prêts à risquer pour rester libres, en démocratie, face à une tyrannie qui veut les détruire. Sont-ils prêts à sacrifier leur vie en se défendant ? Combien de vies sont-ils prêts à sacrifier ? L’Ukraine répond douloureusement à cette question, dans les actes.

L’arme nucléaire, dans les mains d’un tyran qui menace de détruire la démocratie, a nettement complexifié cette question éthique. Jusqu’où une démocratie ou un ensemble de démocraties peuvent-elles légitimement se défendre pour rester des démocraties, au risque qu’une guerre nucléaire de grande ampleur soit déclenchée par leur ennemi ? Autrement dit : combien de millions de vies peut-on risquer de sacrifier pour défendre la démocratie ? Pire encore : est-ce que la démocratie vaut qu’on risque l’habitabilité de la planète ? (hiver nucléaire)

Ces questions n’ont pas de réponses théoriques évidentes. On doit simplement noter que les actions concrètes de l’Ukraine et des pays occidentaux y ont apporté des réponses pratiques. L’Ukraine et les pays occidentaux ont pris des risques mesurés (ex : fournir des armes et soutenir l’Ukraine) mais n’ont pas pris tous les risques (ex : défendre avec leurs propres armées le territoire ukrainien) face à la menace d’emploi de l’arme nucléaire, clairement exprimée par Vladimir Poutine.

On peut se dire que la possession des armes nucléaires par certaines démocraties occidentales (USA, Royaume-Uni et France) n’a pas été sans influence dans le succès de ce calcul stratégique de prise de risque mesurée. Poutine doit réfléchir à deux fois à ce qu’il dit et fait en matière d’arme nucléaire.

Néanmoins, à mesure que Vladimir Poutine voit son armée tenue en échec et que l’Ukraine engrange des succès (relativement à la défaite totale), ces questions pourraient devenir de plus en plus pressantes. Un tyran qui connaît la défaite militaire voit sa légitimité réduite et risque d’être renversé. Un tyran aux abois, déjà âgé, qui a montré qu’il n’avait aucun respect pour la vie humaine, pourrait faire de nouvelles erreurs de calcul stratégique.

De leur côté, les démocraties qui soutiennent l’Ukraine pourraient calculer que la prise de risque mesurée pour défendre la démocratie ukrainienne (et indirectement la leur) se rapproche d’une prise de risque démesurée (en millions de vie mises en jeu), en fonction du comportement d’un tyran aux abois.

Il faut espérer que les Russes démettront eux-mêmes Poutine si l’on en arrive à cette situation, et que les démocraties continueront à ne pas céder au chantage.

Car in fine, si le chantage nucléaire suffit à faire capituler les démocraties, alors qu’est-ce qui garantit leur intégrité ?