La stratégie est l’art pour un acteur d’atteindre des objectifs déterminés, en coordonnant des actions, en utilisant des moyens disponibles avec efficience, en s’adaptant à un environnement incertain et déterminant et aux stratégies des autres acteurs, en vue de réaliser certaines finalités.

C’est un art à cause du principe d’incertitude dans l’écologie de l’action, qui empêche d’en faire une science exacte, même s’il s’agit d’un art rationnel. Ce qui ne signifie pas que l’irrationnel n’y joue aucun rôle paradoxalement.

La stratégie est mise en œuvre par un acteur : être vivant, individu humain, collectif, organisation, société, Etat.

S’il n’y a pas d’objectifs déterminés, il ne peut y avoir de stratégie, et il devient impossible d’évaluer si la stratégie a fonctionné ou pas.

La stratégie nécessite d’élaborer, planifier, exécuter et évaluer des actions en coordonnant leur mise en œuvre. La séquence ou la simultanéité des actions est essentielle pour leur réussite et reflète l’importance du temps, du momentum, en stratégie.

La stratégie repose sur la mobilisation de moyens informationnels, humains, matériels, énergétiques, financiers, temporels, etc. Etant donné la limitation inévitables de ces moyens et les déterminations de l’environnement, la stratégie doit être efficiente, c’est-à-dire maximiser l’impact favorable de ces moyens sur l’atteinte des objectifs.

La stratégie nécessite de s’adapter à un environnement incertain et déterminant, c’est-à-dire qu’elle s’instancie dans un espace-temps évolutif, où l’incertitude règne, et où des contraintes s’exercent et des opportunités émergent. Il s’agit donc de s’adapter en permanence pour éviter les menaces et saisir les opportunités. La stratégie est donc un art éminemment dynamique.

Elle nécessite aussi de s’actualiser en fonction des stratégies des autres acteurs, qui interviendraient dans le même environnement stratégique. Cela renforce encore son caractère dynamique et réflexif.

Une stratégie s’inscrit toujours dans une finalité éthique plus générale, l’acquisition ou la préservation d’un Bien, du moins considéré comme tel par l’acteur qui la met en œuvre.


Une stratégie peut être consciente ou inconsciente. C’est pourquoi on parle parfois par extension de la stratégie du vivant ou de l’évolution pour qualifier certains instincts qui revêtent un caractère stratégique pour la survie et la reproduction d’un organisme vivant. Mais chez les êtres humains aussi, la plupart des stratégies d’action, en particulier dans le quotidien, sont presque totalement inconscientes.

D’une manière générique, on peut paradoxalement affirmer que l’absence de stratégie est malgré tout une stratégie. C’est la stratégie du vide, dans l’ensemble des stratégies possibles. Certaines situations ne requièrent pas de stratégie, d’autres en exigent une. On peut se sortir de nombreuses situations sans aucune stratégie implicite ou explicite, par inertie et par chance. Parfois, ne rien faire, se laisser flotter et emporter par le courant, est la meilleure stratégie.

La stratégie est née avec le jeu, la politique et la guerre, que certains stratèges comme von Clausewitz ont considéré comme la continuation de la politique par d’autres moyens. On parle de jeux de stratégie comme les échecs pour qualifier des jeux où les acteurs s’affrontent pour remporter la partie en utilisant les règles, les pièces et le plateau de jeu à leur disposition, selon une séquence d’actions données.

La gravité de l’Urgence requiert sans aucun doute que chaque acteur responsable se dote d’une stratégie, de l’individu à l’ONU en passant par les Etats.

Les mouvements politiques qui désirent que les sociétés se hissent ensemble à la hauteur de cette Urgence ont tout intérêt à se doter de stratégies à différentes échelles spatio-temporelles.

Mon sentiment est que les stratégies écologistes et environnementalistes ont généralement échoué à empêcher l’Ecocide, et que rien n’indique qu’elle réussiront désormais à l’atténuer. De la même manière, les forces communistes et socialistes ont échoué à abolir ou domestiquer le capitalisme. Ne parlons même pas du mouvement de la décroissance qui n’a jamais réussi à se constituer en parti capable d’engranger des victoires électorales. Pendant ce temps, la social-démocratie, l’humanisme et le libéralisme ont été supplantés par le néolibéralisme et le transhumanisme, quand il ne s’agissait pas de mouvement négationnistes, autoritaires et réactionnaires.

Ce constat dur mais lucide invite les forces philanthropes -qui se soucient que Vie et Humanité prospèrent autant et aussi longtemps que possible- à faire un exercice de réflexivité sans concession. Un aggiornamento de la pensée stratégique de l’écologie politique, du communisme, du socialisme, mais aussi du libéralisme, de l’humanisme et de la décroissance, est indispensable.

Tout acteur désirant contribuer à sauver la Vie, l’Humanité et la possibilité de la vie bonne sur Terre devrait se doter d’une stratégie s’il n’en dispose pas, mettre à jour la stratégie dont il dispose, et participer à la discussion stratégique générale, tant l’Urgence impose de nous tromper le moins possible dès aujourd’hui.

D’autres acteurs enfermés dans l’illusion ou aux intentions cyniques ou malfaisantes sont en effet dotés de stratégies plus ou moins solides, comme le néolibéralisme, le transhumanisme et la réaction négationniste et autoritaire, qui déterminent en ce moment l’inertie générale du système humain mondialisé, dont la tendance est écocidaire, par leur refus obstiné des limites.

Bien qu’il existe de nombreuses expression stratégiques en place publique, l’essentiel des initiatives sociétales est aujourd’hui le fruit d’agendas qui ne tiennent pas compte de l’Urgence. Des ressources importantes sont consacrées à des pensées stratégiques hors sol -par les acteurs technophiles et des secteurs fossiles par exemple- tandis que la production de pensée stratégique du mouvement social-écologique en général demeure malheureusement très pauvre. On compte parfois sur les doigts d’une main les penseurs qu’on pourrait qualifier de « stratèges sociaux-écologiques » qui accèdent à une notoriété impactante. Le philosophe Bruno Latour a tenté avant sa mort de remédier à ce vide de la pensée. Aujourd’hui, le chercheur Andreas Malm propose des éléments de stratégie qui impactent beaucoup le mouvement climatique mondial. Frédéric Lordon est également un philosophe qui se soucie de produire une pensée de portée stratégique pour les mouvements de gauche.

Il semble donc que nous ayons aujourd’hui bien besoin d’un Marx et d’un Engels de l’écologie et de la décroissance.


Plan de la bataille des Thermopyles,

BMartens, sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported

2 réponses à “Stratégie”

  1. Avatar de Jean-Michel
    Jean-Michel

    ..la bataille des Thermopyles est connue comme une bataille héroïque mais désespérée, où les grecs sous le commandement du roi Léonidas se sont battus contre un adversaire perse beaucoup plus nombreux qu’eux.
    Du coup on se pose la question, sur ce choix de l’illustration, est-ce un choix stratégique (in)conscient ? Mmmh..

  2. Avatar de Cédric Chevalier

    Je ne choisis jamais mes illustrations au hasard 😉
    La bataille des Thermopyles fut perdue in fine par les Grecs, fut donc une victoire perse, mais participa d’une campagne générale où les Grecs furent finalement victorieux. Certains historiens considèrent que cette bataille, et celle de Salamine, a permis de préserver le modèle proto-démocratique des Grecs face à l’empire autoritaire des Perses.
    Cela démontre que l’infériorité numérique n’implique pas de perdre au regard de l’histoire. Que des événements improbables peuvent influencer les siècles à venir.

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