Un article intéressant et édifiant sur l’état du secteur aérien post pandémie. Retour à la croissance et solutionnisme technologique via les carburants dits « verts », faible influence de la hausse des prix des billets sur la quantité de passagers.km annuelle, en résumé. On n’avance donc pas au niveau écologique…
A ceux qui pensent, comme moi, qu’une aviation de masse n’est pas possible dans les limites planétaires, ni souhaitable, cet article démontre que « nous » ne sommes toujours pas en transition écologique et que « nous » n’avons pas encore compris ni l’urgence existentielle, ni les limites du techno-solutionnisme. Une aviation de masse n’est pas possible à cause du cadre scientifique des 9 limites planétaires. L’aviation de masse, peu importe le progrès technologique, détruit inexorablement l’habitabilité planétaire, à cause de son empreinte écologique lié à sa taille quantitative. En outre, une aviation de masse n’est pas souhaitable, à cause du cadre des limites planétaires JUSTES, c’est-à-dire les limites relatives aux besoins humains fondamentaux et au principe éthique de justice (cf. un article paru dans Nature).
Oui, une civilisation mondialisée où volent des avions -un certain nombre- était possible et reste possible. Non, pas dans les ordres de grandeur actuels, peu importe les progrès technologiques. Une aviation DE MASSE est impossible et non souhaitable. Pourquoi ? A cause de la règle de trois et de la réalité matérielle du monde. La thermodynamique et la physique du vol et des carburants imposent des contraintes aux possibles technologiques (avion électrique et à hydrogène, cf le poids des batteries et la pression des réservoirs en haute altitude) et donc économiques (coûts en conséquences des contraintes physiques). La « solution » des carburants dits « soutenables » est intéressant à échelle réduite -elle permet d’envisager une aviation résiduelle la moins polluante possible-, mais à échelle de masse, on voit bien que cela va peser (vu les surfaces nécessaires) sur des productions bien plus essentielles que le « vol en avion », comme l’alimentation, le logement, la nature (en soi, et comme puits de carbone). Nous avons un budget non seulement carbone mais aussi d’empreinte écologique soutenable. On ne peut pas consommer tout ce budget pour prendre l’avion pour le plaisir. On doit d’abord satisfaire les besoins humains fondamentaux AVANT de consacrer une partie du budget écologique à des désirs superflus. Ethique élémentaire. Donc à nouveau, même avec carburant dit « vert », à cause des surfaces de terres qui ne seraient plus disponibles pour satisfaire les besoins fondamentaux, ce n’est pas matériellement, mathématiquement, possible.
Comme toujours, le sens des quantités, des proportions et des limites est absent du raisonnement capitaliste (je ne fais pas d’idéologie ici, c’est la description du fonctionnement de l’économie mondialisée), néolibéral, économique classique. L’extrême est le néolibéralisme transhumaniste… une forme d’illimitisme. Non on ne va pas pouvoir envoyer la population mondiale en orbite « pour le fun », avec des fusées de tourisme. Non on ne va pas pouvoir s’exiler vers une autre planète ou dans une station spatiale géante. A nouveau, la thermodynamique, la biophysique, sont implacables. On n’y est pas au niveau des quantités, proportions et limites. C’est dingue que ce sont des industries où il y a tant d’ingénieurs, dont la formation repose sur le compromis permanent entre toutes les limites, qui échouent à prendre conscience de la folie furieuse du système actuel et de ses projections pour le futur.
On n’a toujours pas compris non plus à quel point le pétrole et le kérosène sont des combustibles uniques sur Terre, en termes de densité d’énergie et de fluidité de production, de manutention, de transport et d’emport. Aucune énergie renouvelable n’est aussi condensée, aucune énergie nucléaire (ni fission ni fusion) ne peut être aussi miniaturisée pour motoriser directement (moteur nucléaire embarqué) ou indirectement (électricité ou hydrogène à partir d’électricité) un aéronef.
Les équations chimiques de la combustion fossile sont imparables. Là encore, une limite indépassable. Du CO2 et d’autres gaz sont produits, inexorablement.
Je vois dans le refus irrationnel de refuser la décroissance quantitative du secteur aérien et donc la suppression du complexe aérien de masse, comme je le traite dans mes deux essais, un problème de nature métaphysique (notre vision inconsciente du réel, du monde) : notre civilisation ne conçoit pas la Limite. C’est absent de notre inconscient et de notre conscient dominant. La réponse est simple, c’est celle du courant de l’écologie philosophique et politique : instituer la Limite, instituer l’Autonomie (auto – nomos, capacité à se fixer à soi-même ses propres lois, limites), démocratiquement bien sûr.
Récemment, Jean-Marc Jancovici a évoqué la limite de 4 vols à longue distance par vie humaine maximum. On peut discuter du chiffre mais rappelons que lui est un ingénieur qui a parfaitement compris la notion de Limite au niveau métaphysique ET physique. Je vois les réactions indignées, même de certains écologistes sincères. Ils n’ont toujours pas compris la nature de notre « enfermement planétaire ». Ils croient qu’on va pouvoir transcender des limites indépassables… Il semblerait que le « plaisir de voler et de voyager » -que je comprends, étant sincèrement passionné d’aéronautique depuis le plus jeune âge- les aveugle. Plus largement, toute idée de restriction des possibilités offertes par la technologie sonne comme une atteinte au « plaisir » et à la « liberté », peu importe que la science démontre que poursuivre dans cette voie détruit notre maison commune.
L’évaluation de l’élasticité-prix des billets, le fait que l’extrême minorité de personnes qui prennent l’avion dans le monde, et la relative minorité en Belgique, « sanctuarisent » budgétairement leur consommation de vol en avion malgré la nette hausse des prix, ridiculise les discussions sur les maigres taxes en vigueur ou envisagées sur les billets, le carburant et les vols actuellement.
On retrouve ce même genre d’élasticité-prix pour des consommations plus « nécessaires » dans le système actuel, comme rouler en voiture thermique pour aller travailler. Donc une fiscalité timide ne changera strictement rien aux émissions de gaz à effet de serre de l’aviation.
Je suis désolé mais je crois de moins en moins à une fiscalité-prix qui régulerait à un niveau soutenable l’aviation. Je crois que même en multipliant par 2, 3 ou 10 les prix, qui diviserait même par deux le nombre de passagers.km, on risque de conserver une aviation de masse structurellement insoutenable. Même donc si on évince de sa consommation les classes moyennes inférieures et médianes. Et dans ce cas, si on internalise les coûts externes de l’aviation de masse, je suis convaincu qu’elle ne peut plus être rentable. Pour moi, l’aviation de masse détruit fondamentalement et massivement de la valeur en net, qu’elle que soit la définition, classique ou marxiste ou écologique du concept de valeur.
Comme Jancovici, je suis donc de plus en plus convaincu par une logique de quotas de vols par personne par vie, qui serait la solution la plus efficace et la plus juste au niveau mondial. Je me méfie alors de ceux qui imagineraient un marché des droits de vol échangeable, où les riches finiraient par regagner ce qu’ils avaient perdu en rachetant des droits de voler aux pauvres…
Quand on sait, à nouveau, qui vole sur Terre (la minorité de riches, même dans les pays riches), le transfert fiscal et économique régressif implicite, où les riches profitent (voler et voyager) et les pauvres paient (subir le climat et les nuisances aériennes), est éthiquement scandaleux. On doit insister sur ce point. Le débat sur les jets privés est donc intéressant à ce niveau puisqu’il pointe la partie la plus scandaleuse du complexe aérien, la plus insoutenable et injuste.
Ce raisonnement s’étend à tout le reste de l’économie. Le techno-solutionnisme ne me semble pas crédible. En principe, on peut raser la forêt amazonienne avec un bulldozer électrique alimenté par la fusion nucléaire. On voit bien que le problème n’est pas seulement la motorisation énergétique et matérielle du capitalisme, mais aussi et surtout sa finalité et son absence totale de prise en compte des Limites (humaines, sociales, écologiques, …). Encore plus dans sa version néolibérale-transhumaniste, où la transgression systématique de toutes les limites (corps humain, mort, espace) et l’ouverture à tous les flux économiques fait partie du paradigme métaphysique.
En pratique, cela signifie qu’il faut continuer à marteler le cadre scientifique des limites planétaires (justes), les limites thermodynamiques et biophysiques de la technologie (rendements maximaux, vulgariser le savoir ingénieur éclairé) sur les avions, les bateaux, les camions, les voitures, l’IT, les installations de production d’énergie, la nature chimique des combustibles fossiles, etc. Il faut faire mentir sans cesse les fausses solutions qui nous sont présentées systématiquement par les secteurs économiques pour éviter l’indispensable : la transition juste, le phasing out, la décroissance partielle ou totale et la reconversion de secteurs entiers, insoutenables quantitativement.
Il faut vulgariser une pensée de la Quantité, de la Proportion, de la Limite, enracinée, ancrée, terrestre, matérielle.
Et il faut vulgariser une pensée de la Justice et de la Démocratie. Telle quelle, l’aviation de masse n’est ni juste, ni démocratique.
Il faut vulgariser l’idée de la Décroissance et de la Transition juste, vitales, existentielles, urgentes.
Une aviation est possible dans un monde soutenable. Pour l’urgent, le médical, le scientifique, le diplomatique. Un quota de tourisme serait peut-être envisageable, mais sérieusement limité et justement distribué. Cette aviation serait peut-être alors… à 10% de la quantité actuelle… mais nous protégerions l’habitabilité de notre planète et donc… notre liberté.
La liberté ne sera préservée qu’en lien avec l’interdépendance et la limite, c’est-à-dire sous forme d’autonomie interdépendante. Détruire l’habitabilité planétaire, faute de le comprendre, détruira avec certitude l’essentiel de notre liberté, voire notre liberté de vivre in fine. On ne peut pas faire sécession de notre planète Terre ni des lois du vivant et de la physique.
Sommes-nous prêts à l’entendre ? J’en doute.
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